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Par Danielle Laguillon Hentati.

Le hasard me fit découvrir, un jour d’été pluvieux, la photo jaunie d’un soldat au dos de laquelle mon père avait écrit un nom : Omer Segrot. J’avais alors commencé mes recherches généalogiques et je sus tout de suite de qui il s’agissait : mon trisaïeul. La découverte était d’importance ! En effet, je n’avais aucune information sur lui, car il était un entant « trouvé », c'est-à-dire né de père et de mère inconnus. Or voilà que le destin – ou mon ange bienfaiteur – me donnait un premier indice. J’étais très émue, Omer avait enfin un visage ! Je lui devais de ne pas renoncer.

Par la suite, dans ma galerie de personnages mystérieux, j’ajoutais d’autres enfants trouvés. Le sort en était jeté, je me penchais sur le problème des enfants trouvés ou abandonnés, je me mis à questionner les uns et les autres, à lire le peu de documents écrits sur la question ; puis j’eus l’occasion d’aller aux archives départementales de la Gironde voir leurs dossiers (je ne suis pas encore allée aux archives de la Dordogne, ni de la Charente).

Car les enfants abandonnés ont une histoire présente. Certes, nous ne connaissons pas leurs parents, donc ni leur origine géographique, ni leur milieu social ; les parents étaient-ils des citadins ? installés depuis peu à Bordeaux ? Les mères étaient-elles des servantes engrossées par le maître, donc dans l’incapacité de garder leur enfant pour l’élever ? Ou bien père et mère étaient-ils des manouvriers trop pauvres pour nourrir une nouvelle bouche ?

enfantstrouves01 Omer Segrot (2)


Cependant, grâce aux dossiers administratifs, je pus trouver des éléments intéressants me permettant d’évoquer leur parcours dès leur petite enfance. Ces éléments matériels apportent une connaissance partielle de leur existence, toutefois, ils sont souvent révélateurs de la vie qu’ils ont pu ou non s’organiser.

L'abandon d'enfants est un phénomène ancien et récurrent dans les sociétés occidentales. Les réponses données à cet évènement varient dans le temps et l'espace au gré des contingences historiques / politiques, et du statut de "l'enfant" au sein des sociétés qui l'accueillent.

Bref rappel historique

Dans l'antiquité, les enfants délaissés n'ont de secours à attendre que de la charité individuelle. Dans l'empire grec ou romain, l'enfant exposé est la propriété de celui qui le recueille, souvent plus par intérêt que par pitié. L'infanticide est admis légalement, car il s'agit de limiter l'accroissement d'une population secourue par l'Etat.
Aux premiers temps du christianisme, les évêques prennent sous leur protection les enfants abandonnés et menacent des peines les plus sévères l'exposition et l'infanticide. Des asiles sont fondés pour secourir les malades, les infirmes et les pauvres, et, aux portes des églises, on place une coquille de marbre pour recueillir les petits. Cependant l'Eglise range au nombre de ses serfs les enfants délaissés qu'elle prend à sa charge.
Le Moyen-Age voit persister l'exposition des enfants dans les lieux publics "Au bon cœur des inconnus" ou aux portes des monastères où ils deviennent moines. Mais l'accueil de ces enfants commence à s'institutionnaliser. Aux XIV° et XV° siècles, l'Italie construit dans ses cités : Milan, Florence, Naples... de grands hospices pour accueillir les indigents et les "enfants trouvés". En France, ce sont les seigneurs qui doivent payer pour l'entretien des enfants trouvés sur leur juridiction. Ils sont confiés à un hôpital ou une famille nourricière, mais beaucoup se dérobent à cette obligation. En 1362, Jean de Meulan, évêque de Paris, fonde une confrérie pour secourir les enfants, c'est l'hôpital du Saint-esprit, situé place de Grève. Mais en 1445, Charles VII ordonne par lettres patentes de n'y recevoir que les enfants abandonnés nés en légitime mariage! Encore sous le règne de François 1er, seuls les enfants légitimes ont droit à l'assistance, les « bâtards n'ont d'autre refuge à Paris qu'une maison appelée la Couche, située en l'île de la Cité [...] Un trafic infâme obligea de fermer l'établissement. On découvrit que les servantes de la maison, vendaient les enfants 20 sous la pièce, pour des opérations de magie, ou pour d'autres usages aussi coupables. »
Plus tard, de nombreuses fondations émanant de l'Eglise ou du Pouvoir accueillent les enfants abandonnés.

A Bordeaux (3)
La prise en charge des enfants trouvés, abandonnés et orphelins pauvres commence à Bordeaux dès le Moyen-Age avec la fondation de l’Hôpital-prieuré Saint-Jacques en 1119 par Guillaume IX, duc d’Aquitaine et comte de Poitiers, dont le domaine couvre 19 départements de la France actuelle. Son héritière est sa petite-fille Aliénor. L’hôpital, situé rue du Mirail, près de la Grosse Cloche et des fossés de la ville, a d’abord pour fonction d’héberger les « jacquaries », pèlerins de Compostelle, jusqu’à 1000 par jour ;ensuite de recueillir les femmes pauvres en couches ; enfin de nourrir et entretenir les enfants abandonnés et les orphelins. Il bénéficie de chartes successives avec privilèges et donc de ressources pendant la période anglo-gasconne de 1152 à 1453 (Bataille de Castillon) Il dure jusqu’en 1654. En exécution d’un arrêt du Conseil du 10 janvier 1648, le Maire et les Jurats sont chargés désormais de l’entretien des enfants trouvés.

Au XVIII° siècle, lui succède l’Hôpital Saint-Louis-des-Enfants-Trouvés, premier établissement bordelais réservé uniquement aux Enfants Trouvés, dans le quartier Sainte-Catherine. Sa façade donne rue Bouhaut (l’actuelle rue Sainte-Catherine). Aux archives municipales, on peut voir les lettres patentes de Louis XIV du 17 juin 1714 portant création de l’ Hôpital Saint-Louis-des-Enfants-Trouvés qui va fonctionner de 1714 à 1772.
Cet hôpital reçoit les enfants exposés au « Tour » qui existe à Bordeaux jusqu’en 1861. Puis les enfants sont confiés à des matrones qui leur refusent souvent « les eaux salutaires du baptême, sans parler des mauvais traitements... ». Le recours à l’abandon est dû à la misère, aux famines et à la bâtardise. Il est mal vu, mais toléré, parce qu’il évite l’infanticide, puni de mort depuis le XI° siècle.
Jusqu’à l’âge de 5 ans, les enfants sont confiés à des nourrices extérieures ; puis de 5 à 9 ans, leur entretien et leur formation religieuse sont confiés aux Filles de la Charité dont la congrégation a été fondée par Saint-Vincent-de-Paul en 1633. Elles assurent aussi la tenue des registres (qui sont pour nous aujourd’hui une source précieuse d’informations). Après l’âge de 9 ans, les enfants sont transférés à l’Hospice de la Manufacture. L’administration comporte : des membres du Parlement, des membres du clergé, des membres de la Jurade et des notables commerçants.
L’Hôpital-Saint-Louis est vite trop petit, insalubre avec une surmortalité : de 1725 à 1753, le nombre de pensionnaires passe de 280 à 1155, puis à 1544 en 1772 lors de la fusion avec l’Hôpital de la Manufacture. Mais le problème du financement s’aggrave. En 1772, par lettres patentes de Louis XV, l’Hôpital-Saint-Louis est désaffecté et les enfants de tous âges regroupés à la Manufacture.

L’Hôpital général des métiers ou de la Manufacture (1624 – 1881) est antérieur à l’Hôpital-Saint-Louis-des-Enfants-Trouvés. En effet, sa construction a été décidée à partir de 1624, grâce à un legs de 30 000 écus fait en 1619 par Anne de Tauzia (4), veuve du vicomte de Brezets, conseiller au Parlement, mais elle est retardée par la Fronde et les guerres de religion.
En 1662, trois ans après son passage à Bordeaux, Louis XIV, par lettres patentes, indique que « les enfants resteront à l’hôpital pour y apprendre un métier jusqu’à ce qu’ils puissent être placés dans la ville, dans les vaisseaux du Roy ou à la campagne ». Ces établissements sont destinés par Colbert à donner une formation aux exclus de plus en plus nombreux au XVII° siècle. C’est pourquoi, dans cet hôpital-hospice, les enfants vont apprendre divers métiers dans les ateliers de menuiserie, tonnellerie, peinture, vannerie, etc…
L’achèvement de la Manufacture est l’œuvre de Duplessy, architecte du Château Trompette et de l’église Notre-Dame. Lasserre écrit : «C’était un vaste bâtiment dont la sobre architecture dominait, du 17ème au 19ème siècle, les chantiers de construction de la marine du Roi (5)».

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Hospice de la Manufacture (6)

 

Situé dans le quartier Sainte-Croix, c’est un bel édifice dont la façade scandée par trois pavillons de style Richelieu mesure 258 m et regarde la Garonne quai de Paludate. Trois autres ailes sont ajoutées, entourant une cour plantée d’arbres et agrémentée de fontaines, le tout occupant 41 840 m², comme l’indique la fiche d’adjudication au début du XX° siècle qui voit malheureusement sa démolition ; il sera remplacé par la maison de vins Descas.
De 1720 à 1820, le pourcentage des enfants trouvés augmente de 10 à 22 % en raison de l’exode rural qui amène la population de la ville à plus de 100 000 habitants, ce qui est beaucoup pour la ville ! Le fonctionnement de l’hôpital est de plus en plus onéreux bien que les autorités locales et les plus riches Bordelais acceptent de payer le risque social de l’essor économique de la cité, particulièrement éclatant au XVIII° siècle, comme le montre l’architecture de la ville.



A la Révolution, l’Hôpital prend le nom d’Hospice des Enfants-Naturels-de-la-Patrie et il est placé sous le contrôle d’une commission administrative des hospices, en vertu de la loi du 16 vendémiaire an V. Les Soeurs de Saint-Vincent-de-Paul sont évincées, mais elles reviennent avec l’Empire.
Le décret du 19 janvier 1811 définit les 3 classes d’enfants confiés à la charité publique : Les parents pourront réclamer leur enfant contre remboursement des frais de pension, d’où l’usage dans les registres de rubans à côté de l’état civil, pour permettre une identification ultérieure. Malheureusement, la surpopulation, l’insalubrité, la contagion entraînent une telle mortalité que la date du décès du nourrisson est souvent apposée à côté de celle de la naissance. De 1811 à 1852, 36 825 enfants sont exposés au Tour.
Au XIX° siècle, le caractère sanitaire de l’établissement s’accentue avec un médecin ordinaire et un adjoint, deux chirurgiens et un adjoint nommés par le préfet. Les nourrices des enfants trouvés ou abandonnés sont payées par le Département, celles des enfants pauvres par la Ville ; leur surveillance permet de diminuer la mortalité infantile qui devient inférieure à celle de l’hospice. En 1859, 1143 enfants sont soignés à l’hôpital cependant que 3500 enfants sont placés en nourrice extérieure.
Pour éviter la contamination des nourrices par la syphilis qui a été si longtemps transmise aux nouveaux nés, on crée, comme dans d’autres hôpitaux, une animalerie avec ânesses et chèvres. Puis en 1848, le Bordelais Lamothe utilise des biberons pour l’allaitement artificiel.
En 1881, l’hôpital de la Manufacture est désaffecté, car il ne correspond plus aux idées nouvelles. Le mot « puériculture » apparaît en 1865 et celui de pédiatrie en 1872, signifiant qu’il s’agit désormais d’une véritable discipline. En 1878, la Faculté mixte de médecine et de pharmacie s’installe place de la Victoire. Donc l’Hôpital de la Manufacture est aliéné et la Commission administrative des Hospices fait l’acquisition du domaine de Saint-Nicolas-des-Graves.

L’Hôpital-hospice des Enfants Assistés est inauguré en 1888, ainsi que la Faculté de médecine, par le Président Sadi Carnot. Construit cours de l’Argonne selon les idées de Pasteur et d’Eiffel, il comporte une dizaine de pavillons à 3 niveaux, aérés par de hautes fenêtres et reliés par des passerelles métalliques au bâtiment central. Ainsi, on espère par l’isolement éviter la contagion de maladies comme la diphtérie, la coqueluche, etc…
A cette époque, Rousseau Saint-Philippe et Charles Rocaz créent la pédiatrie sociale à Bordeaux avec la Fédération des œuvres girondines de protection de l’enfance. Puis c’est la création de la Maison maternelle de Cholet dans le but d’accueillir les jeunes mères démunies et leur nourrisson, suivie de celle du Foyer de l’Assistance publique à Eysinoff qui délivre enfin l’hôpital de la cohabitation dangereuse entre enfants malades et enfants sains venant de l’Assistance publique. La préoccupation majeure de la première moitié du XX° siècle est en effet de faire baisser la mortalité infantile par infection. En 1992, le vieil hôpital-hospice est transféré dans l’actuel Hôpital d’Enfants.
D’après Suzanne Larché (cousine de mon père Richard André Laguillon), la famille y allait une fois par an par gratitude, car un membre de la famille y avait été élevé. Il s’agissait certainement de leur arrière grand-père : Ambroise Modan.

Une famille pour être heureux

Les enfants abandonnés de ma famille sont au nombre de neuf : Florence COLIGNY (7), épouse de Guillin LAGUILLON, est déclarée née aux hospices d’Angoulême et a vécu en Charente ; Marguerite (8), épouse de Jean ALLAGUILLON, est née de père et mère inconnus le 29 septembre 1811 à Saint-Agnan-Hautefort et a vécu en Dordogne ; Lucas NICAISE (9), allié aux CHAB(E)AUDIE (famille de ma grand’mère maternelle) est né le 15 décembre 1825 de parents inconnus à Nontron en Dordogne où il va accomplir sa vie ; les six autres ont été recueillis à l’Hôpital de la Manufacture de Bordeaux.
L’administration va leur donner un prénom et un patronyme qui existent déjà, leur évitant la stigmatisation de la non appartenance à une famille. Autre point commun : ils ne restent que quelques jours à l’Hôpital de la Manufacture. Très vite, ils sont confiés à des nourrices : un en Charente-Maritime, un autre en Charente et quatre en Dordogne. Les couples de cultivateurs élevaient ces enfants pour ensuite avoir une aide à la ferme.

Geneviève BENU est née le 23 juillet 1835 «il a été remis un procès-verbal fait à l'Hospice des Enfants abandonnés de cette ville, signé des sieurs Rochefort Commissaire de police, et E. Marchand Sous-Directeur, duquel il résulte qu'il a été exposé à la boîte dudit Hospice, le vingt-quatre de ce mois un enfant de féminin âgé d'un jour auquel on a donné le nom de Geneviève BENU enregistré sous le n°572 » (10).

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Acte de naissance de Geneviève Benu

Le mercredi 3 février 1858, elle épouse Jean JEANNETEAU avec lequel elle aura 9 enfants entre 1858 et 1878 et une nombreuse descendance :

  1. JEANNETEAU Jean dit Justin x GABAUD Marie
  2. JEANNETEAU Françoise, décédée enfant
  3. JEANNETEAU Jean x BUSSELET Joséphine Anne
  4. JEANNETEAU Jean dit Marcelin dit Combillou x BAZINETTE Jeanne
  5. JEANNETEAU Jean x BAZINETTE Marie
  6. JEANNETEAU François, décédé à 24 ans
  7. JEANNETEAU Jean dit Joseph dit Firmin x CREYSSAC Marguerite
  8. JEANNETEAU Marie x GRÉGOIRE Pierre
  9. JEANNETEAU Marie x DELUGIN Simon Léonard

Selon les actes d’état civil des enfants, elle est papetière, puis cultivatrice. Nous savons qu’elle a vécu à Bouteilles-Saint-Sébastien avant de s’établir vers 1869 à Saint-Paul-Lizonne au lieu-dit « Moulin de Châtillon » qui faisait de la pâte à papier. Les enfants seront donc papetiers.
Il n’est pas rare de constater que des enfants trouvés eurent à cœur de fonder une famille, souvent nombreuse, afin de « s’approprier » une famille et de se créer une histoire à venir, à défaut d’une histoire passée. Dans ce cas précis, Geneviève devait avoir une soif d’amour extraordinaire, elle aima certainement son mari et ses enfants très fort. J’imagine que Geneviève fut une femme d’exception : mère de famille nombreuse et travailleuse, elle ne ménagea jamais sa peine en des temps où les femmes du peuple ne pouvaient compter que sur elles-mêmes.

Paulin ALSER est « exposé à la boîte [de l’hospice de Bordeaux] le 18 mars 1843, paraissant âgé de deux jours (11)». Nous le retrouvons en Dordogne en 1868, il est cultivateur et demeure à Lacourberie à Villetoureix. Il se marie le 27 avril 1868 à Grand-Brassac (Dordogne) avec Anne VARAILLON, fille d’un couple de cultivateurs de cette commune. Un contrat de mariage a été établi le 29 mars par devant Me BELISLE, notaire à Celles. Nous n’avons pas trouvé de descendance ; leurs décès ne sont pas connus.

Bruno LOURIS est déposé le 18 juin 1846 à l’Hôpital de la Manufacture de Bordeaux (12), né de parents inconnus. Ce patronyme insolite va se transformer au fil du temps en un prénom : tantôt sous sa forme initiale tantôt « Louis ». Lui seul savait quel était son patronyme. Ainsi, lors de son premier mariage (13), il signe maladroitement « Louris » ; dans l’acte de donation que font ses beaux-parents, le notaire écrit que Catherine est l’épouse de « Bruno LORISSE ». (14)
Le 21 juin 1846 (15), il est placé en nourrice chez Marguerite MAURY, épouse de Victor AUVRILLE, domiciliés à Ribérac. Mais le 24 mai 1847, il est déplacé chez une deuxième nourrice : Jeanne PELAU, épouse de Pierre LAFAYE, demeurant au village de la Saraginie à Ribérac. La raison invoquée est : «La femme est grosse ou enceinte. L’enfant n’est pas susceptible d’être sevré ». En 1863, il est chez les époux BOUTIER à Allemans. Le 20 novembre 1864, il est domestique chez M. AURILLAC, propriétaire au bourg de Saint-Martin-de-Ribérac. Sur le bulletin individuel établi à cette période, le médecin-inspecteur LA ROBERTIE écrit que sa santé et son état physique sont excellents, qu’il a fait sa première communion, qu’il sait un peu lire et écrire, qu’il est parfaitement placé et qu’il gagne 100 francs. En 1866, Louris est placé chez les époux BRACHER à Ribérac. Puis, il fait la guerre de 1870. Le 14 septembre 1873 à Ribérac, il se marie avec Marie SUDRET qui meurt en 1883, après avoir eu deux fils : Jean et Adrien (1881-1883). Lorsque l’aîné, Jean, est déclaré à la mairie à sa naissance, l’employé écrit « LOURIS » comme patronyme avant de le rayer et de le remplacer dans la marge par « BRUNO » (16), décidant ainsi du patronyme d’une descendance. Puis, le 31 janvier 1884 à Allemans, il épouse en secondes noces Catherine Jeanne LAGUILLON, dont il aura deux fils : Louis René et Arthur. Il meurt avant le mariage de son fils Arthur, peut-être avec le regret de n’avoir pas eu de petits-enfants (nés après 1921).

Charles CABOURIN est déposé le 27 avril 1848 à l’Hôpital de la Manufacture de Bordeaux, né de parents inconnus (17). Il est mis en nourrice (18) le 5 mai 1848 chez Jeanne SERVANS, épouse de Jean MAZEAU, au Maine-Neuf (19) à Saint-Paul-Lizonne où il reste jusqu’en 1859. Le couple a eu un enfant le 26 janvier 1847, comme l’indique l’attestation pour un “certificat de nourrice laitière”, faite par le médecin de Bourg-du-Bost en date du 20 avril 1848. Il a certainement eu le parcours de nombreux habitants de Saint-Paul-Lizonne qui faisaient la navette entre leur village et le bourg voisin de Saint-Séverin (Charente) ou bien qui s’y établissaient définitivement (20). Le 16 novembre 1876 à Saint-Séverin, il épouse Marie LAIGUILLON. Ils se sont certainement connus au gré des relations familiales entre les LA(I)GUILLON de Saint-Paul-Lizonne et ceux de Saint-Séverin, d’autant que le père de Marie est décédé en 1866 au Maine-Neuf. En outre, tous deux travaillent alors à Bordeaux : Charles comme garçon boucher et Marie comme cuisinière. Enfin, leurs professions réciproques ont dû les mettre en contact à Bordeaux, si ce n’est dans leur enfance. En 1888, il est déclaré marchand de bestiaux à Bordeaux, lors du mariage de son beau-frère Jean (21). La date de son décès nous est inconnue.
C’est certainement une vie très accomplie : excellente intégration dans sa belle-famille et ascension sociale, mais dont la fin est assombrie par des chagrins familiaux. Son fils cadet Joseph est tué lors de la bataille de Morhange (Moselle) le 20 août 1914, le benjamin Raoul est grièvement blessé en 1916.

Omer SEGROT, mon sosa 114, est déposé le 12 juin 1843 au tour de l’hôpital de la Manufacture de Bordeaux, né de parents inconnus (22). Comme Bruno LOURIS dont nous avons déjà parlé, son nom va se prêter aux fantaisies d’employés municipaux peu attentifs.
Dès le 26 juin 1843 (23), il est confié au couple Marguerite BOUILLERE et Sicaire dit Joseph DUMONT(H)E(U)IL qui vient de perdre un enfant : Sicaire, décédé le 24 avril 1843. Le couple éduquera Omer convenablement. C’est très certainement une famille très honorable et très charitable, qui enseigne les valeurs de l’amour et de la générosité. Le couple perdra quatre enfants sur cinq. Marguerite, l’aînée, épousera un enfant trouvé de l’hospice de Bordeaux : Paulin ASLER (voir plus haut).
Dans le dossier de Omer, une attestation des Sœurs en date du 9 juin 1856 fait état d’ «un logement sain, d’un vêtement propre, d’une instruction primaire et d’une santé bonne », si bien qu’une récompense est accordée au couple DUMONTEIL pour s’être bien occupé de Omer. Nul doute que cette enfance heureuse l’ait aidé à se forger une belle personnalité, et que ce modèle familial ne soit devenu « son » modèle. Il est frappant de constater qu’il savait lire et écrire, lui le « bâtard » élevé par des « étrangers », ce qui va l’inciter à donner une solide instruction à ses enfants. La correspondance que ses trois enfants échangèrent montre leur éducation et leur attachement réciproque. Devenu veuf, son fils Elie Henri reviendra passer ses dernières années à Saint-Pey-de-Castets, pour être en famille.
Ses études terminées (il devait avoir le niveau du certificat d’études), de 1855 à 1859, Omer est placé comme cultivateur chez le couple BOUILLERE-DUMONT(H)E(U)IL. En décembre 1860, il est cultivateur au village de l’Hôpital à Celles chez les époux PRADIER. Le 6 août 1871, à Celles, il épouse Louise MAGNE, native de Tocane-Saint-Apre. Les témoins sont tous résidents à Celles, leurs professions indiquent un milieu social identique. Ce sont vraisemblablement des amis ou connaissances de l’époux. Le couple va avoir trois enfants connus : Marie OMER SEGROT (mais appelée Marie SEGROT-OMER), Elie Henri SEGROT et Lucie SEGROT.
En 1897, nous retrouvons la famille en Gironde d’abord à Mouliets, puis à Saint-Pey-de-Castets. Omer meurt le 14 février 1932 à « Laffeuillade » à Saint Pey de Castets, chez sa fille Marie.
Les événements familiaux et la mémoire familiale laissent penser qu’il eut une vie tranquille.
Son nom est insolite : Omer est alors un prénom peu commun ; quant à SEGROT, c’est un patronyme qui n’existe pas en France, on le trouve seulement en Angleterre, ce qui me valut un jour d’être contactée par un sujet de Sa Gracieuse Majesté, résident en Australie, d’où il faisait des recherches sur les SEGROT, famille anglaise d’origine française ! Et pour preuve, il m’envoya un document. Donc, toutes les hypothèses sont possibles !

Ambroise dit Jean MODAN (écrit par erreur MONDAN), mon sosa 118, ne m’a pas encore dévoilé tous ses secrets bien que je le connaisse depuis près de 13 ans. Il est déposé à l’Hospice de Bordeaux le 11 mai 1836 à Bordeaux, paraissant âgé de
deux jours (24).
Une semaine plus tard, il est confié à Jeanne DURAND épouse de Jean FAURE, domiciliée au village de Genêt à Clérac dans l’arrondissement de Jonzac (Charente-Inférieure). Ce qui est surprenant est que le couple est marié seulement depuis
quatre ans (25). Autre surprise : Ambroise MODAN est déclaré décédé (26) le 10 avril 1839 (27) au village de Genêt chez le couple qui l’a recueilli, si bien qu’il n’y aura pas de suivi. De même, aucune trace de services militaires. Nous le retrouvons dans le nord de la Gironde alors qu’il a 22 ans : il achète une terre (28) qu’il revend plus tard, sans doute en prévision de son mariage. Il est alors cultivateur à Cartelègue et épouse une jeune fille du lieu : Marie dite Magdeleine Michaud. Après la naissance de leur fille aînée Marie dite Alida (1861), le couple se transfère à Bordeaux où il va vivre désormais. Ils vont travailler durement pour élever leurs sept enfants : Ambroise sera charretier, puis manœuvre, Marie blanchisseuse. En 1891, ils emménagent au 141 rue Lecocq à Bordeaux dans une « belle maison » restée dans la mémoire familiale.

Ces membres de ma famille eurent la chance d’être placés rapidement et d’être élevés en dehors de la Manufacture où la mortalité était très haute (29). Ils surent saisir l’opportunité qui leur était offerte d’une autre vie. Leur parcours ne fut pas exempt d’embûches ni de larmes, mais ils connurent aussi de belles joies.

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Sources

  1. Cet article est la version légèrement remaniée du Chapitre 5 de la brochure Les La(i)guillon, Une famille de Saint-Paul Lizonne, 2007, 120 pages. Je l’ai écrite à l’occasion de la Cousinade que j’ai organisée en Gironde, 150 exemplaires photocopiés ont alors été remis aux membres de ma famille.
  2. Photo Danielle Laguillon Hentati
  3. Cette partie s’inspire de J. BATTIN (Professeur de clinique des maladies des enfants)  Les hôpitaux d’enfants à Bordeaux : trois siècles d’histoire. Publication faite en 1997- lu aux Archives municipales de Bordeaux ; Christophe ESCURIOL Les Enfants trouvés et l’hôpital de la Manufacture de Bordeaux (1658-1880). CD consulté aux Archives municipales de Bordeaux ; Charles LASSERRE Depuis longtemps oublié…l’hôpital de la Manufacture et des Enfants trouvés à Bordeaux. Bordeaux Médecine, 1968 ;1 :61-84 – lu aux Archives municipales de Bordeaux ; Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde Les enfants trouvés et l’hôpital de la Manufacture à Bordeaux (1689-1880). En partenariat avec les Amis eu Patrimoine du C.H.U. de Bordeaux, Colloque 17 mai 2003, 3ème série, N°5, 2004, comprend en particulier deux communications très intéressantes :  Christophe ESCURIOL La vie des enfants à l’hôpital de la Manufacture de Bordeaux dans la première moitié du XIX° siècle; et Pierre GUILLAUME (Professeur émérite de l’Université Michel Montaigne) Bordeaux : L’histoire exemplaire de l’hospice de la Manufacture.
  4. Site internet : Gallica : Archives historiques du département de la Gironde, 1887, T. 25- Article : Testament de Anne de Tauzia, N°CLXXIV, 20 octobre 1619.
  5. Charles LASSERRE Depuis longtemps oublié…l’hôpital de la Manufacture et des Enfants trouvés à Bordeaux.
  6. Façade de l’hôpital de la Manufacture donnant sur la Garonne- Lithographie couleur de A. BORDES, 1838 (collection de l’auteur) ; reproduction faite avec l’autorisation des Archives municipales de Bordeaux
  7. Recensement de Blanzaguet (Charente) de 1861 : Florence COLANIE, 23 ans, domestique ; d’après son acte de mariage du 6 juin 1864 avec Guillin LAGUILLON, Florence COLIGNY est née de père et mère inconnus en 1838 à Angoulême ; Recensement de Blanzaguet-Saint-Cybard (Charente) de 1872 : Marie COLONIE, 58 ans, de l’Hospice d’Angoulême, sans profession. Elle reste une énigme !
  8. Marguerite n’a pas de patronyme.
  9. Ce nom constitué de deux prénoms va complexifier son identité et celle de ses enfants, car les services administratifs ne sauront jamais quel est vraiment son patronyme ; d’où des variantes telles que NICAISE LUCA sans prénom ; ses enfants vont s’appeler : Pierre NICAISE, Marie NICAISE-LUCAS dite LECLAIRCIE, Pierre NICAISE LUCA et (sans prénom) NICAISE LUCA.
  10. Merci à Murielle Mestreau et à Pierre de Vayres. Registre des actes de naissance de Bordeaux, enfants abandonnés, 1835, N°572
  11. 1 E 201, Registre des actes de naissance de Bordeaux, enfants abandonnés, 1843, N°204. Je n’ai pas pu consulter son contrat de mariage.
  12. 1 E 210, Registre des actes de naissance de Bordeaux, enfants abandonnés, 1846, N°486.
  13. Acte de mariage du 1er octobre 1873 à Ribérac (Dordogne) entre BRUNO Louris et SUDRET Catherine
  14. Acte de donation du 15 juin 1884 devant Me Debordes, notaire à Ribérac des époux Pierre LAGUILLON et Catherine BARDY, en faveur de leurs enfants.
  15. Dossier consulté aux Archives départementales de la Gironde : 3 X Enfants trouvés liasse 265.
  16. Acte de naissance du 17 février 1879 à Ribérac.
  17. 1 E 216, Registre des actes de naissance de Bordeaux, enfants abandonnés, 1846, N°340.
  18. Dossier consulté aux Archives départementales de la Gironde, 3 X Enfants trouvés liasse 291.
  19. Lieu-dit où vivaient des LAGUILLON ; une famille y vit toujours.
  20. Sujet traité dans le Chapitre 4 « En route vers la Charente et la Gironde » de la brochure Les La(i)guillon, Une famille de Saint-Paul Lizonne.
  21. Acte de mariage du 7 février 1888 à Saint-Séverin (Charente) entre Jean LAIGUILLON et Sicarie ARGILLIER.
  22. 1 E 201, Registre des actes de naissance de Bordeaux, enfants abandonnés, 1843, N°405.
  23. Dossier consulté aux Archives départementales de la Gironde : 3 X Enfants trouvés liasse 243.
  24. 1 E 179, Registre des actes de naissance de Bordeaux, enfants abandonnés, 1836, N°355.
  25. Acte de mariage du 4 mars 1832 à Clérac entre Jean FAURE et Jeanne DURAND
  26. Dossier consulté aux Archives départementales de la Gironde : 3 X Enfants trouvés liasse 182 : certificat de décès indiquant : patente n°3488, collier n°355, date et lieu du décès.
  27. La trace du décès n’a pas été retrouvée dans les TD de Clérac
  28. AD rue Poyenne : contrat d’achat 3 E 48264 chez Me MARCELAT, notaire à Blaye. AD rue d’Aviau : contrat de vente 3 E 33988 chez Me BOURCIER, notaire à Cartelègue.
  29. A titre d’exemple, dans la période 1835-1839, 84,7 % des enfants de moins d’un an y moururent. Cité par Christophe Escuriol, op.cit. p. 108

(03/2015)