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Monique Lambert

Une rencontre fortuite chez Elie Bouron notaire à Castres en 1790 : celle d’une loueuse de chaises. Une opportunité pour évoquer un petit métier, le plus souvent réservé aux femmes.

Ce samedi 2 mai 1790,  la fille du maître de pension de Castres, âgée  de 27 ans, signait un contrat de louage de chaises qui l’engageait pour 3 ans. Il était convenu que pendant cette période elle assurerait la location des 164 chaises de l’église de Castres.
Dans les églises, il y avait autrefois le privilège des bancs
 http://www.cahiersdarchives.fr/index.php/19-publications/faits-religieux/41-droit-de-banc-un-marqueur-de-notabilite
 Dans une moindre mesure, l’utilisation des chaises pouvait se révéler objet sinon de profit au moins objet de transaction. C’est ce que suggèrent les clauses du contrat.

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Une période révolutionnaire
On peut s’étonner de la signature d’un tel acte le 2 mai 1790 soit en période dite révolutionnaire. Depuis quelques mois, les évènements s’étaient succédé : la prise de la Bastille le 14 juillet de l’année précédente puis la nuit du 4 août mois avec l’abolition des privilèges.  Puis le 2 novembre 1789 un décret qui avait mis les biens ecclésiastiques à la à la disposition de la Nation.
 Comment expliquer dans un tel contexte les termes d’un acte qui engageait les biens d’une paroisse,  comme si rien ne s’était passé ? De fait la dépossession des biens d’Eglise avait été progressive.
Un décret de novembre 1789 engageait certes l’Etat  à "pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres des autels, au soulagement des pauvres, aux réparations et reconstructions des églises, presbytères, et à tous les établissements, séminaires, écoles, collèges, hôpitaux, communautés et autres". Mais, par dérogation, les fabriques demeuraient  administrées, comme antérieurement par les conseils de fabrique. Rappelons que la fabrique regroupait un certain nombre de personnalités qui avaient pour mission de collecter et d’administrer les fonds et revenus nécessaires à la vie de la paroisse.
Aussi c’est très légitimement  que ce 2 mai 1790, Jean Ameau pouvait proposer un bail pour la location de chaises dépendant de l’administration de la Fabrique.


Quel est le contenu du contrat ?
Le  bail est souscrit pour la durée de trois années depuis  le 25 avril 1790 (fête de Saint Marc) jusqu’à la veille de la fête de Saint Marc à titre de ferme pour quatorze douzaines de chaises « bonnes et serviables ». Ces chaises appartiennent à l’église. Françoise Pellé peut en jouir et en percevoir le droit de louage. A charge pour elle de payer 300 livres pan an. A la fin du bail Françoise Pellé doit rendre les chaises. Si des réparations s’imposent, Françoise devra faire l’avance des frais qui seront déduits des trois cent livres qu’elle devrait payer. ADG 3 E 33499

Ce qui signifie que Françoise Pellé prend à bail 168 chaises qu’elle louera aux paroissiens de Castres. On regrette de ne pas avoir plus d’informations sur les modali tés de la location : une pièce à chaque utilisation ou une somme qui  ouvre droit à utilisation de la chaise une année durant ou d’autres modalités de réservation. Pas d’information non plus sur le coût des places par rapport à l‘emplacement. Il était possible que les chaises des premiers rangs soient recherchées.

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Françoise Pellé devait donner chaque année 300 livres, ce qui n’est pas une somme négligeable. La somme de 100 livres correspondait au prix d'achat d’un bœuf.
Sur ces 300 livres la loueuse devait faire un petit bénéfice.

 

Qui était Françoise Pellé la loueuse de chaises ?
Le registre paroissial la ferait naître le 4 septembre 1763. Son père était porté « maître écrivain » ou sur d’autre actes « maître de pension ». Une profession honorable.  En 1790, Françoise, non mariée, était âgée de 27 ans, sans doute l’aînée d’une fratrie  d’au moins 6 enfants.
Son mariage le 17 juillet 1792 avec un boulanger  explique peut-être la rupture du bail et la signature d’un nouveau contrat  chez le même notaire le 17 juin 1792

 
Elisabeth Boret a pris la suite

Le nouveau contrat à titre de ferme a été souscrit entre Pierre Jaunie « fabriqueur » de l’église Saint Martin de Castres et Elisabeth Boret épouse de Jean Guerin, matelot.. On retrouve la même quantité de chaises, soit 14 douzaines. Le fermage est signé pour une durée de trois ans soit du 1 juin 1792 jusqu’au 31 mai 1795 pour une somme de 265 livres par an payable «  demy année par demy année échue ». Il est noté que le fermage avait été l’objet d’une adjudication et qu’Elisabeth Boret était « la plus offrante et la dernière enchérisseuse ». ADG 33501

Nous n’avons que peu d’informations sur cette loueuse de chaises. Orpheline, elle avait épousé quelques mois auparavant un marin, d’ailleurs absent au moment de l’acte. Il n’y a pas trace de sa signature sur le contrat et son acte de mariage. On peut penser qu’elle était illettrée.
La suite des évènements  a sans doute écourté la durée du fermage.

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Que sont devenues les 168 chaises de l’église Saint Martin de Castres ?

En savoir plus sur ce petit métier, lire un texte rédigé non sans humour par un auteur du XIXème siècle.
http://www.bmlisieux.com/curiosa/coquil02.htm


(11/2015)