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Par Monique LAMBERT

Langon février 1810 - Des inquiétudes à Langon (3000 habitants) : beaucoup trop de décès ces derniers temps. Il ya deux ou trois ans, la population avait mal vécu de tels moments difficiles. Il y avait eu une accalmie, mais, de nouveau, il faut constater le retour d’une « maladie grave et contagieuse ». Quel nom lui donner ?

 

On ne sait ce qui a décidé Grassi, le médecin des Epidémies de Bordeaux, à faire un déplacement qui, le plus souvent, n’avait rien d’une partie de plaisir.

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Qui était Grassi ?

https://www.sudouest.fr/2013/01/15/la-longue-vie-du-docteur-de-grassi-934664-2780.php

A l’occasion de son passage à Langon, Grassi (ou de Grassi) a laissé deux textes -ADG 4 N 132

Dans le premier texte, il est fait mention de prisonniers espagnols. Napoléon avait envoyé ses troupes guerroyer en Espagne. Elles reviennent ramenant avec elles des colonnes plus ou moins fournies de prisonniers qui, remontant vers le nord, font parfois halte à Langon.

https://www.histoire-genealogie.com/Les-colonnes-de-prisonniers-espagnols-des-guerres-napoleoniennes-a-Saint-Leonard-1810-a-1813-de-la-genealogie-a-la-grande-Histoire

Certains auteurs intéressés par ce sujet ont parlé de déportation. Les prisonniers ne revenaient pas en Espagne. Ils auraient travaillé dans des chantiers en Bourgogne et en Normandie.

Ces prisonniers, pas toujours bien traités, sont accusés à tort ou à raison d’être porteurs de « miasmes délétères ». Le 31 décembre 1809, à Langon, ils étaient 18 prisonniers qui ont croisé dans un lieu « resséré » des langonais. Grassi fait aussi le lien entre les personnes contaminées par « devoir ou humanité » et les prisonniers.

Les diverses phases de la maladie qui dure une douzaine de jours sont ici décrites avec soin. Le rapport mentionne les moyens thérapeutiques employés qui peuvent produire « d’heureux effets » car l’issue n’est pas toujours fatale.

Histoire de la maladie de Langon dans les premiers jours de l'an 1810

Déjà le calme et la tranquillité s'étaient rétablis parmi les habitants de Langon, la maladie et les tristes résultats n'y régnaient plus lorsqu’une nouvelle source de maux est venue répandre sur ces malheureux concitoyens, le deuil et la consternation.
Une circonstance funeste a disséminé les germes contagieux qui ont fait en peu de temps des progrès rapides dans Langon et même dans les lieux circonvoisins. Le 31 décembre, jour de dimanche un peuple nombreux de la ville et de la campagne sortait de l'église et passait en foule sous un arceau bas et resserré en même temps que dix-huit prisonniers espagnols y défilaient. Il est probable que dans cette rencontre des miasmes délétères furent communiqués puisque le 7 janvier suivant les officiers de santé reconnurent chez les malades les symptômes de l'affection maligne et contagieuse qui avait sévi précédemment et dont le tableau leur était encore très présent
Ce n'est point à cette seule circonstance qu'il faut attribuer la propagation de miasmes septiques : d'autres communications ont contribué à les répandre parmi les habitants. Les uns par devoir, les autres par humanité allaient distribuer à ces misérables prisonniers les aliments qui leur étaient nécessaires ou surveillaient avec zèle leur égale répartition. Un tonnelier après avoir donné, en plein air, à boire aux prisonniers pendant environ deux heures fut pour ainsi dire frappé par la maladie et ne s'est rétabli qu'après avoir couru le plus grand danger. Une vieille femme qui se trouvait dans le voisinage d'une grange qui avait été occupée par les espagnols, voulant tirer parti de la paille sur laquelle ils avaient couché, la ramassa en tas, fut également atteinte de la maladie et succomba à ses suites. Quelques autres ont contracté cette fièvre en donnant des soins à leurs parents. Les bateliers, obligés de transporter les prisonniers trouvaient dans leurs barques les germes de la contagion dont l'existence ne peut ici être révoquée en doute par les médecins instruits et les bons observateurs. Cette maladie, comme toutes les autres se modifie suivant les saisons, les âges, la constitution les tempéraments, les affections de l'âme, les habitudes et les diverses circonstances dans laquelle on se trouve. On peut néanmoins présenter en général les symptômes, selon les grades de la maladie, dans l'ordre suivant.

1ère période : Invasion
Lassitude, pesanteur et maux de tête, fièvre continue avec redoublement, pouls convulsif, sueurs acritiques légères, assoupissement, dégoût, inappétence, soif, horripilations vagues et irrégulières, parfois hémorragies spontanées nasales de peu de durée, nausées suivies de vomissements, urines rares, d'une couleur foncée, souvent brune et sans sédiment.

2éme période : Développement
Intensité plus grande des symptômes, surtout de la fièvre, pouls convulsif, mais plus faible, céphalalgie violente, peau sèche, brulante, sensible, irritable ; chez quelques-uns yeux fixes, animés, rougeur du visage, délire furieux augmentant pendant le retour de la fièvre, diminuant lors des rémittences; chez la plupart yeux abattus, ternes, coma vigil, délire sourd, prostration plus grande des forces ordinairement, disposition convulsive, soubresauts des tendons, vomissements à l'époque des exacerbations, parfois évacuation diarrhéique plus souvent constipation, soif ardente, langue précédemment limoneuse, devenus quelquefois sèche, rouge, présentant dans son milieu une zone noire, apparition de pétéchies sur toute l'habitude du corps, du 6ème au 8ème jour et leur continuation jusqu'après la deuxième semaine.

3éme période : A cette époque les symptômes parviennent à leur plus haut degré d'intensité, la lutte établie entre les causes morbides et les forces médicatrices, après avoir balancé pendant quelques temps, les évènements entre l'espoir et la crainte, se termine à l'avantage des uns ou des autres et décide du sort des malades.
Ceux dont la faiblesse est extrême et ne permet plus au principe de vie de régulariser ses efforts, restent comme une masse dans leur lit, ne peuvent plus articuler, leur déglutition devient difficile, ils sont tourmentés par le hoquet et tombent dans un coma profond. Ils laissent involontairement échapper leurs excréments qui exhalent une odeur putride ; leur corps se couvre de sueurs froides, leurs traits se décomposent, le pouls s'efface et les convulsions générales annoncent l'approche de la mort qui survient le plus ordinairement du dixième au quatorzième jour de la maladie.
Ceux au contraire dont l'apparition de pétéchies était accompagnée de diminution graduée de la fièvre, des maux de tête, de mouvements spasmodiques qui éprouvent un léger ptyalisme, une surdité temporaire, des sueurs générales modérées et rendent des urines plus abondantes avec sédiment grisâtre recouvraient le calme et le sommeil et entraient en convalescence vers le quatorzième jour.

Moyens thérapeutiques employés
Boissons - la décoction d'orge mondé, l'eau vineuse, la limonade, la décoction d'oseille, l'eau sucrée sulfurique ont été mises en usage avec succès, cette dernière surtout. La décoction de bourrache a été utile pour favoriser vers la fin de la maladie la diaphorèse.
Sangsues appliquées à la tête et au cou ont paru produire d'heureux effets dans les cas de pléthore du cercle supérieur dans le système vasculaire à sang noir.
Vomitifs et purgatifs - ils ont plus nui que soulagé. Ils ajoutaient la débilité et le désordre : plusieurs malades en ont été victimes. La seule crème de tartre donnée à petite dose, en favorisant parfois la liberté du ventre, a procuré de bons effets parce qu'alors elle ne déprimait pas les forces.
Vésicans - leur application a été en général très fatigante pour les malades, ils ont cependant été avantageux à quelques-uns. Plusieurs n'ont suppuré que vers la fin de la maladie ; aucun n'a été frappé d'escarres gangréneuses.
Quinquina - il a fatigué le plus grand nombre des malades mais plusieurs s'en sont bien trouvés.
Remèdes nervins - le camphre avec le nitre, les liqueurs éthérées ont paru produire du calme.
Aliments - les farineux, les crèmes, les bouillons de végétaux ont servi de nourriture aux malades qui témoignaient ordinairement avoir une grande répugnance pour les substances animales.

Langon 6 février 1810

Grassi Médecin des Epidémies

 

Le deuxième texte d’adresse au Comité de vaccine et de Santé de Langon.


Grassi donne un nom à cette maladie « grave et contagieuse » qui a été décrite sous le nom de fièvres des prisons, d’hôpital, en latin « typhus nosocomirum ».« Les meilleurs médecins » attribuent cette affection « à des miasmes septiques dont les effets tendent le plus souvent à affaiblir l’énergie vitale ».

En savoir plus sur le typhus ?

S’adressant à des spécialistes, Grassi précise longuement ses conceptions sur les soins à apporter aux malades. L’arrivée du printemps aura des répercussions sur les organismes « dans le printemps, l’organisation se revêt d’une action vitale plus énergique… ». Concernant les moyens thérapeutiques employés, il les passe en revue, argumentant le pour et le contre. Il insiste sur la nécessité de la propreté des malades, le renouvellement du linge, les courants d’air, « l’éloignement des rideaux de laine et de lits de plume… ». Quelques mots également sur « l’influence des affections morales sur le physique ».

Le Médecin des Epidémies de l'arrondissement de Bordeaux au Comité de Vaccine et de Santé de Langon

Messieurs,
La maladie grave et contagieuse que les prisonniers espagnols vinrent pour la seconde fois de communiquer à plusieurs de vos concitoyens et qui a déjà fait quelques victimes, me parait être essentiellement la même que celle dont vous avez été les témoins pendant plusieurs mois de l'année dernière ; c'est une fièvre maligne pétéchiale ou selon la nouvelle nomenclature adynamo-ataxique, maladie très anciennement connue et bien décrite par les praticiens du siècle dernier sous le nom de fièvre des prisons, d'hôpital, en latin Typhus nosocomirorum,
Cette affection dont diverses circonstances peuvent aggraver ou diminuer le danger, est attribuée par les meilleurs médecins à des miames septiques dont les effets tendent le plus souvent à affaiblir l'Energie vitale.
D'après cette considération et notre propre expérience, vous jugerez comme moi, messieurs, combien l'abus des évacuans peut surtout dans cette occurrence devenir funeste, puisqu'en ôtant à la Nature les ressources qui lui restent encore pour combattre victorieusement la cause du Mal, on la réduit à un état passif qui mène inévitablement à la Mort.
Guidés par une théorie lumineuse, fondée sur l'observation, vous calculerez dès son principe, la marche de la maladie…
La saison qui se prépare va imprimer à la Nature entière une activité nouvelle : les animaux ne seront pas étrangers à cette heureuse influence. Dans le Printemps l'Organisation se revêt d'une action vitale plus énergique, le système sanguin se développe, les humeurs deviennent effervescentes, la Pléthore augmente et la disposition inflammatoire ne tarde pas à se manifester surtout chez les jeunes gens d'un tempérament sanguin ou lymphatico-sanguin. Dès lors d'autres indications se présenteront : autant les toniques, les analeptiques et les fortifiants ont été nécessaires, autant les délayans, l'application des sangsues, les saignées même seront utiles. Ces moyens indispensables en cas de turgescence sanguine devront être employés avec prudence et modération, et ne sont ordinairement urgents que dans les commencements de la maladie. La Nature, messieurs, nous indique elle-même la conduite que nous devons tenir ; dans combien de circonstances ne l'a-t-on pas vue, concentrant dans un point sa force et sa puissance, produisant une pléthore locale, frayer au sang des routes nouvelles, déterminer son issue au dehors et donner lieu à des hémorragies nasales quelquefois très abondantes

Vous avez obtenu de bons effets, messieurs de l'usage de la décoction d'orge mondé, de l'eau vineuse, de l'infusion de bourrache, de la limonade, de la décoction d'oseille et de l'eau sucrée sulfurique. Vous avez surtout remarqué que cette dernière tempérait mieux la soif et débilitait moins l'estomac. Ces boissons variées selon les dispositions des malades et prises froides, excepté pendant le sueurs critiques, devront donc être continuées.
Une observation importante est l'aversion que montrent les malades pour toute nourriture animale et la préférence qu'ils donnent aux farineux, aux crèmes, aux bouillons de végétaux. Elle doit servir de règle pour le régime à prescrire.
Je ne pense pas qu'il convienne de trop multiplier les vésicans : ils ont souvent l'inconvénient d’accroitre chez les personnes très excitables le trouble de l'économie animale et en ajoutant par la voie d'absorption à l'acrimonie des humeurs, d'augmenter leur altération. Vous pouvez, néanmoins, dans le cas où l'adynamie est portée à l'extrême et la sensibilité notablement diminuée recourir avec succès à l'application des vésicatoires pour ranimer les forces de la vie.
Il convient de ne pas passer sous silence l'emploi du quinquina. Parmi les malades qui en ont fait l'usage quelques-uns ont dû leur salut à l'administration de ce remède héroïque : le plus grand nombre en a été fatigué. Dans ce cas ne peut-on pas présumer avec raison que l'excitabilité était exubérante et qu'en employant la préparation opiacée, graduée d'une manière relative on pourrait obtenir des résultats satisfaisants ? Dans la supposition d'une adynamie conjointe il serait facile de combiner l'opium avec le quinquina et en modifiant ces deux substances l'une par l'autre, on atténuerait les inconvénients et l'on développerait leurs vertus.
D'autres moyens d'usage secondaire peuvent encore devenir utile, tels sont les lavements au besoin, les liqueurs éthérées, le camphre, le nitre, le bon vin rouge vieux ou la thériaque. Leur application convenable en assurera le succès.
Il est encore quelques précautions dont vous connaissez tous l'utilité. La propreté des malades et des objets qui l'environnent, le fréquent renouvellement du linge qui le couvre, l'éloignement des rideaux de laine et des lits de plume, les courants d'air souvent réitérés, une légère combustion propre à les déterminer et surtout le dégagement des gaz acides oxygénés par la méthode précieuse de Mr Guyton-Morveau sont autant de ressources propres à borner non seulement les progrès de la contagion, mais encore à l'éteindre.
Vous savez quelle est l'influence des affections morales sur le physique : aussi est-il essentiel de prodiguer les aux malades, de les rassurer sur leur état, de dissiper les craintes qui les tourmentent, de répandre enfin sur leurs maux un baume bienfaisant qui, en ramenant le calme et la tranquillité du moral, ne contribueront pas peu à rétablir l'équilibre rompu de leurs forces physiques.
Mais qu'est-il nécessaire de s'étendre à cet égard lorsque je présente ces réflexions à des hommes de l'art distingués par leur zèle et que l'humanité la plus louable porte à soulager les maux de leurs semblables ?

A Langon le 6 février 1810

Grassi Médecin des Epidémies