Exemple : La Gironde

Par Girondine

« Acheter un homme » ou trouver un remplaçant...
Servir à la place d’un autre « tombé au sort »...
Le remplacement, un aspect souvent méconnu du vécu des obligations militaires au 19° siècle.

Le remplacement - Un système qui permettait à un soldat ayant tiré « un mauvais numéro » de se faire remplacer par un volontaire qu'il payait pour se substituer à lui et effectuer à sa place le service militaire

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Un exemple : il concerne la classe 1843

Le 6 juin 1844, un acte administratif de remplacement a été signé (ADG33 1 R 168).

Etienne Louis Antony, fils de notaire, avait tiré le numéro 32 dans le canton de La Réole, un « mauvais numéro ». Son père, on ne sait pas par quel intermédiaire, avait trouvé un remplaçant. Jean Lafon, garçon d’un marchand d’eau à Bordeaux, originaire de la Haute-Garonne a accepté de remplacer et d’effectuer le service militaire à la place d’Etienne Antony. Jean Lafon avait lui-même tiré un « mauvais numéro », mais du fait qu’il avait un « frère au service » il avait été « délivré ». Il était libre de s’engager comme remplaçant.

Nous ne connaissons ni les modalités ni le montant de la transaction.

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Acte administratif de remplacement (ADG 33 1 R 168 - acte 154)
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Le système de la conscription et le remplacement de la loi Jourdan (1798) à 1872.
La durée du service : elle a été variable, mais le chiffre de 7 ans est souvent retenu.
Le gouvernement chiffrait chaque année le montant du contingent qui était composé de volontaires et de jeunes gens « tombés au sort » au moment du tirage. Ces derniers avaient la possibilité de se faire remplacer.
Quelles étaient les modalités du tirage au sort, un système qui concernait tous les jeunes gens de 20 ans ?

  • Tirage au sort. C’était rituel : tous les ans les jeunes gens qui avaient fêté leur vingtième anniversaire se retrouvaient au chef-lieu de canton pour le tirage. Un moment chargé d’émotion. Ceux qui avaient tiré les « bons numéros », les plus élevés, se réjouissaient. Quant aux autres, ils avaient la possibilité d‘être « exemptés » ou « dispensés » quand ils pouvaient justifier de leur situation de famille (fils de veuve, frère au service, etc.), de leur métier (instituteur, séminariste, marin), d’une faiblesse de constitution, défaut de taille, etc.
    En dernier recours, ceux qui étaient assez aisés avaient recours au remplacement - ce qui impliquait de trouver un homme qui accepterait de se substituer au conscrit « tombé au sort » et le payer.
    Les résultats du tirage peuvent être lus dans « la liste de tirage », consultable aux AD.
  • Le remplacement. La loi le permettait sous certaines conditions. Elles ont quelque peu varié au cours des décennies mais voici l’essentiel :
    Les conditions à remplir par le postulant pour être accepté comme remplaçant :
    • être libre de tout service ou obligations : avoir tiré un « bon » numéro et donc être « libéré ». Il peut aussi avoir tiré un « mauvais numéro », mais être exempté comme « fils de veuve, etc. » ; il peut aussi avoir effectué son service et souhaité rester sous les drapeaux, etc.,
    • être âgé de 20 à 30 ans au plus ou de 20 à 35 ans s’il a été militaire ou de 18 à 30 ans s’il est le frère du remplacé,
    • n’être ni marié, ni veuf avec enfants,
    • avoir la taille requise,
    • n’avoir pas été réformé du service militaire.
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Les postulants devaient passer devant le conseil de révision qui statuait sur leur demande.
Le remplacé et sa famille devait payer, parfois fort cher, pour s’assurer d’un remplacement.

Les Remplacés : des jeunes gens qui avaient tiré un « mauvais » numéro.

Le tirage au sort : une source d’inquiétude pour les intéressés mais aussi pour les « pères de famille » (c’était un terme générique qui englobait mères, tuteurs ou autres responsables du conscrit). Aussi ces derniers ont tenté, tant que ce système a perduré, de trouver des systèmes, des procédures qui limitaient les désagréments pour ceux qui « seraient tombés au sort ». Il fallait trouver l’homme qui accepterait le remplacement et trouver les fonds nécessaires, car l’opération était onéreuse. Tout au long du 19ème siècle, plusieurs formules ont été proposées. Quelques exemples :

 

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Un exemple de contrat signé chez un notaire à Barsac en 1839 entre un père pour son fils et un intermédiaire, délégué par un agent d’affaires de Bordeaux. (ADG33 3 E 55272).

D’une part : André Couture, charpentier de haute futaie dont le fils Pierre doit tirer au sort dans quelques jours
et d’autre part Pierre Boudin, marchand et également secrétaire de mairie (comme nous l’apprennent d’autres actes signés chez le même notaire). Pierre Boudin agit pour le compte du sieur Crépin Lemoine, propriétaire et agent d’affaires à Bordeaux.
Le sieur Lemoine s’engage à faire toutes les démarches pour fournir un remplaçant pour le cas où le jeune Couture « tomberait au sort ». Il en coûterait au père 1100 francs.
Ont été payés comptant 520 francs.
Le solde (575 francs) payable dans un an à partir du jour où le jeune Couture sera remplacé; cette dernière somme productive d’intérêts.
Si le jeune est « libéré » (il a tiré un « bon »numéro ou a été « exempté » du fait d’une infirmité), il y a remise de 400 francs. Le solde qui devra être payé un an après le tirage au sort se montera à 175 francs.

Chez ce même notaire, plusieurs actes notariés de remplacement, appelés « traités » ont été signés. Si les actes mentionnent le montant des sommes à verser, la part qui revient aux intermédiaires et au remplaçant est mal connue.

Le coût du remplacement : il variait suivant les circonstances et les rumeurs de guerre ou de troubles sociaux.
La moyenne : 1200 francs avec une hausse considérable au moment de la guerre de Crimée en 1855 (2200 francs). Pour information : une journée de travail pour un ouvrier : environ 1 franc par jour.
De 1855 à 1868, l’Etat a décidé de se charger lui même du recrutement des remplaçants moyennant le paiement par le remplacé d’une certaine somme, assez élevée. Le jeune homme remplacé après paiement était alors « exonéré ». C’est ce terme que l’on trouve en regard de certains noms dans les registres de recrutement.
Les intermédiaires n’étant plus en charge de recrutement ont alors orienté leurs activités vers des systèmes d’assurance. En 1868, quand la loi a été modifiée il était possible de faire appel à eux de nouveau pour trouver un remplaçant. Pour peu de temps, jusqu’à la loi de 1872 qui marquait la fin du remplacement..
Les remplaçants
Sauf exception car il y avait des remplacements de gré à gré, leur recrutement relevait des règles du commerce. On parlait de « commerce d’hommes ».
Pour les agents d’affaires, courtiers ou agents il s’agissait trouver des hommes ?

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Les remplaçants
Sauf exception car il y avait des remplacements de gré à gré, leur recrutement relevait des règles du commerce. On parlait de « commerce d’hommes ».
Pour les agents d’affaires, courtiers ou agents il s’agissait trouver des hommes ?

Où les chercher ?
En Gironde, avant 1832, Bordeaux et la Gironde fournissaient plus de 50 %, et parfois 70%, des remplaçants. Puis il a fallu aller plus loin. Les Basses-Pyrénées procuraient de 12% à 34 % d’hommes pour la Gironde
Précision : ces jeunes pyrénéens n’étaient pas originaires du Pays Basque, mais du Béarn notamment des moyennes vallées des Gaves et des cantons d’Oloron, Mauléon et Tardets.
On peut noter le faible apport des départements du nord de la Gironde (Charente-Maritime et Charente), et l’absence presque totale des landais et des périgourdins.

Pourquoi de telles différences entre des départements plus ou moins voisins ? Il y a sans doute plusieurs hypothèses. On peut retenir le rôle des agents recruteurs, sans doute bien emplantés dans des régions sensibles au phénomène migratoire.
De 1868 à 1872, l’étude des contrats d’engagements constate la diminution sensible des remplaçants pyrénéens remplacés par des jeunes gens issus de départements parfois éloignés, (Corse, Haut-Rhin, Bas-Rhin).
Pourquoi signer un tel engagement qui pour des années éloignait le jeune homme de son milieu d’origine ? On a avancé la misère, pas tellement celle des ouvriers d’usine, ni celle des paysans mais plutôt celle des artisans en milieu urbain, plus sensibles que d’autres aux aléas économiques (cf Bernard Schnapper). C’est une hypothèse qui pouvait être avancée pour les postulants girondins sans négliger pour bien des jeunes gens quelle que soit leur origine le désir de voir du pays, l’attrait de l’aventure, une peine de cœur, un « coup de tête » et pourquoi pas, pour certains, la possibilité de se constituer un petit pécule.

Sept ans d’armée pour quel profit ?
Les études effectuées sur le montant et l’utilisation des sommes perçues par les intéressés laissent des zones d’ombre. Il semblerait qu’il y ait d’importantes variations selon l’origine géographique des postulants et la période (tensions politiques). Certains percevaient 800 f, d’autres entre 1800 et 2000 f. .
Les familles du remplacé étaient responsables de la présence effective au corps du remplaçant. Aussi, le plus souvent une partie de la prime n’était payée qu’au bout d’un an de présence.
Les somme perçues étaient soient dépensées (il y a toujours des imprévoyants), soient mises en réserve pour être perçues plus tard. Il ne semble pas qu’il y ait eu des règles précises sur l’utilisation des primes durant le service. Il a été noté cependant la tendance des gouvernements à susciter des dépôts dans des caisses d’épargne. Ce qui reste à vérifier.
L’engagement dans l’armée – qu’il soit volontaire ou comme remplaçant - n’était pas sans risques. Certes il y a eu de longues périodes de paix qui donnaient à voir la vie militaire sous des aspects attrayants mais les conflits militaires (la guerre de Crimée) ont dû en décevoir plus d’un qui ont vu mourir leurs camarades ou les rendre à la vie civile très amoindris.
Il ne semble pas qu’il y ait eu d’étude sur ce que devenaient les remplaçants après leur séjour prolongé dans l’armée. Certains signaient un nouvel engagement, ce qui reculait d’autant leur retour dans la vie civile. Mais les autres ? Ils ont pu revenir au pays, fonder une famille. Leurs descendants ignorent certainement cet épisode un peu particulier de leur vie.

Les retrouver ?
Retrouver un remplacé est relativement aisé.
Avec la liste du tirage de la classe et du canton correspondant on trouve le nom recherché et le numéro. « Bon » ou « mauvais numéro » ?
Sur la liste du contingent de l’année, qui se trouve de la cote ADG33 1 R 859 à 918, on peut retrouver le nom recherché et en regard, bien souvent, le nom du remplaçant.
Pour aller plus loin, on peut se diriger vers les actes administratifs des actes de remplacement qui devaient être signés par chacun des contractants, en principe. Ces actes, des simples feuillets, sont regroupés par année de la classe 1830 à 1850 puis de 1867 à 1871 sous les cotes de 1 R 155 à 1 R 183. Ils apportent quelques précisions sur le remplaçant et parfois sur l’intermédiaire qui a permis le contrat.
Il est aussi possible de chercher dans les notaires si un acte a été passé.
Pour la période qui court de 1855 à 1871, on trouve sur le registre du contingent, la mention « exonéré ». Ce qui signifie que le jeune homme (ou sa famille) ont payé une certaine somme qui l’ont exonéré du service militaire. L’Etat avait recruté lui-même le remplaçant.

Chercher si le nommé x a été remplaçant s’avère plus complexe.
Il peut avoir souscrit un remplacement dans l’année de sa classe, ou après ou à la fin de sa période militaire. Il peut également s’être engagé dans un autre département.
Un indice que l’on peut relever, parfois, mais pas toujours, dans la liste de tirage. Dans la marge, devant son nom, un graphisme : R.
Il arrive que lorsqu’un jeune homme se marie, il soit porté sur son acte de mariage la mention « ex-militaire ». Or la liste de tirage précisait qu’il avait été « libéré » (« bon numéro « ou exempté »). On peut supposer qu’il a servi comme remplaçant.
Pour la période qui court de 1855 à 1871, il n’y a rien qui puisse confirmer ou infirmer qu’un homme a été remplaçant. Eventuellement peut-être… son acte de décès.

Il résulte de tout ceci beaucoup d’incertitudes.

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Une piste possible à partir des registres des actes administratifs de remplacement.
Chaque registre, pour une classe donnée, contient environ 300 feuillets. Ils permettent de prendre connaissance du nom d’un remplacé, de son numéro dans la liste de tirage.et fournit des informations, telles que : la filiation, la date et lieu de naissance, son signalement dont sa taille et son métier.Reprenant l’acte cité plus haut, on apprend que le dénommé Jean Lafon était fils de Sernin Lafon et de Marie Anne Dufour. Il était né le 20 septembre 1823 à Sauveterre (Haute Garonne). Il était domicilié à Bordeaux.
Signalement : cheveux et sourcils chatain foncé - yeux chatain –front ordinaire – nez effilé – bouche moyenne – visage ovale – teint brun clair.
Taille 1m 57
Sa profession : garçon marchand d’eau.

 

Une liste de remplaçants girondins dans la rubrique « Bases de données »
L’objectif de cette liste est le suivant : permettre de retrouver un remplaçant né en Gironde.

C’est à partir des registres administratifs de remplacement et de quelques listes de contingent antérieurs à 1830 qu’ont été relevés des noms de remplaçants. Ils étaient nés en Gironde et résidaient en Gironde lors de la signature de l'engagement. En regard du remplaçant, figure le nom du remplacé, ce qui permet de connaître la classe du remplacé et donc la classe de référence.

Un exemple : Louis Dubergey, né en 1811 a-t-il été remplaçant ?On le trouvera dans la liste, comme né en 1811 à Sauternes, résidant à Uzeste quand il a signé l’acte. Il s’engageait à remplacer Jean Pujols de la classe 1832. C’est dans le registre 1 R 157 (classe 1832) que l’on trouvera trace de l’engagement.

Les registres des cotes AD 33 - 1 R 155 et 1 R 156 qui n'indiquaient pas l'origine des engagés n'ont pas été relevés. Le registre 1 R 181, manquant, n'a pas non plus été traité.

Il arrive que l'on rencontre, sur la colonne de droite, deux mentions : « enfant trouvé ». La première a semblé intéressante à noter. Quant à la seconde, « voir 1 R 184 », elle invite à consulter un autre registre où figure, par ordre alphabétique, la liste des hommes qui ont fait une demande de certificat de résidence pour postuler à un remplacement de 1848 à 1855. Les noms qui sont portés sur ces deux types de registres ne se recoupent que très partiellement.

La liste n'est pas exhaustive. Le girondin peut s'être engagé hors département ou ne pas avoir signé de contrat.
Sources
Archives départementales de la Gironde
Schnapper (Bernard), Le remplacement militaire en France, S.E.V.P.E.N., 1968
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Accès à la base de données des remplacements


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(02/2014)