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Par D.Salmon Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

La dernière exécution publique en France est celle de Weidmann, le 17 juin 1939, à Versailles. Les conditions en sont si scandaleuses que les pouvoirs publics décident que les exécutions se feront dorénavant hors la vue du public. Le dernier exécuté en public à Bordeaux est Pierre Delafet, le 23 novembre 1933. Il avait exterminé toute sa famille.

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Au matin du dimanche 7 février 1932, Pierre Delafet quitte son domicile de Moirax en Lot-et-Garonne. Il part à bicyclette chez des amis habitant à une vingtaine de kilomètres. Deux jours plus tard, les voisins, inquiets de ne rien voir à la ferme, découvrent l'affreux spectacle. Six personnes ont été assassinées : la grand-mère, la mère, l'oncle, la femme, la fille Lucienne, neuf ans, et le fils Jean-Michel, trois mois.

Delafet avoue tout. Il était revenu à bicyclette dans la nuit glaciale, et en demi-heure, avait exécuté toute sa famille à coups de hache, de couteau et de fusil. Puis il était tranquillement retourné se coucher chez son ami.

Il est condamné à mort à Agen, le 7 mars 1933. Une erreur de procédure fait casser l'arrêt. Delafet est rejugé à Bordeaux le 7 juillet 1933. (1)

Au Fort du Ha, il joue à la belote avec les autres prisonniers et même avec un gardien. Il est serein et ne manifeste absolument aucun remords. Il est convaincu qu'il ne sera pas exécuté. La rumeur de sa grâce s'est répandue dans Bordeaux. Mais l'ampleur du crime est telle qu'Albert Lebrun restera inflexible malgré la visite de ses avocats.

L'exécution est fixée au 23 novembre 1933. C'est la dernière fois qu'Anatole Deibler, surnommé " Monsieur de Paris ", officie à Bordeaux. Le fourgon arrive à cinq heures au fort du Hâ par le cours d'Albret. L'emplacement de la guillotine, dans la cour, est signalé par une marque au sol (2). Le montage se déroule à la lueur d'une lampe tempête et est achevé en une demi-heure. Deibler et ses aides, jusqu'alors en habit de coutil, se changent. Le jour se lève. Les silhouettes des spectateurs apparaissent. Certains attendent depuis deux heures du matin. Les rues avoisinantes sont noires de monde. Dans les immeubles voisins de la prison les fenêtres sont louées cent trente francs.

Depuis trois heures, les environs de la prison sont bouclés. Deux cents spectateurs ont réussi à entrer dans la cour et se tassent le long du mur. Certains poussent des cris hostiles. Deux femmes s'évanouissent. Il est impossible de franchir les barrages de la place de la République ou de Pey Berland. Seuls les possesseurs de " coupe fil " (sic) pourront entrer par la porte principale du palais de justice.

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Delafet est réveillé à six heures dix minutes. Il dort bien car il a joué aux cartes jusqu'à une heure. Il fait preuve d'un sang-froid à toute épreuve. Il n'entend pas la messe, et au greffe, refuse alcool, cigarette et tasse de café. A son avocat, Me Pereau, il dit : "Je ne sais pas pourquoi... Je ne me rappelle pas..." puis " Continuez à fleurir les tombes, continuez à défendre ma mémoire. Je ne sais pas ce que j'ai fait... Que cela puisse servir d'exemple aux autres." Il revêt la tenue des parricides. Devant la guillotine, l'huissier lit l'arrêt de mort. Un des aides du bourreau lui enlève prestement son voile, puis le pousse sur la machine.

Delafet est guillotiné à six heures quarante-cinq minutes. L'aumônier bénit le panier. Le corps a été réclamé par le doyen de la faculté de médecine. Le fourgon des pompes funèbres part pour l'institut médico-légal, précédé de 25 gendarmes à cheval. La foule se disperse. L'exécution ne donne lieu à aucun incident. Delafet est enterré discrètement au cimetière Nord.

Son flegme incroyable a surpris tous les acteurs de cette affaire. " Il est allé à la guillotine comme s'il allait au café " dira un commentateur.

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Sources
1. Archives départementales.
2. "La Petite Gironde", novembre 1933


(03/2014)