Par M. Lambert.
Deux blanchisseuses à Mérignac. Elles sont décédées à quelques semaines d’intervalle en 1854. Toutes deux veuves, âgées de 55 ans, laissaient une fille mineure. Aussi a-t-on apposé des scellés sur les meubles et objets qu’elles avaient délaissés. Une occasion de s’intéresser à ce métier fort répandu dans les banlieues de Bordeaux et dont on parle peu.
On les appelait aussi « savonneuses ». C’est au bord du Peugue, de la Devéze, de la Jalle de Blanquefort, de l’Eau Bourde, et d’autres petits ruisseaux autour de Bordeaux qu’elles s’affairaient. C’étaient elles qui lavaient le linge sale des familles bordelaises.
Une activité qui a permis à un très grand nombre de femmes, de mère en filles, de subvenir aux besoins de leurs familles.
Celles qui ont retenu fortuitement notre attention habitaient Mérignac vers le quartier Capeyron, l’une au Chut, l’autre à Jean Blanc. Deux blanchisseuses parmi d’autres.
Savonner, laver et blanchir
Le linge sale des maisons bordelaises était collecté et transporté à Mérignac (ou dans d’autres communes de l’agglomération bordelaise). Il était décrassé au « bugeoir », ou « cuvier » savonné et « battu » ensuite aux lavoirs installés le long des ruisseaux. Il séchait sur l’herbe. Puis c’était le retour du linge propre à livrer sur Bordeaux.
Une lithographie de G. de Galard |
Les PV de la pose des scellés : une ressource à ne pas négliger. Le descriptif des pièces, l’énumération des objets « laissés en évidence », ce sont des indices. Ils racontent l’espace dans lequel la personne décédée à vécu.
Que nous apprennent les deux textes étudiés ?
La veuve Lafon au Chut
Entrons au quartier du Chut, chez la veuve Lafon. Elle laissait deux filles, blanchisseuses elles aussi. L’aînée mariée dans un autre quartier et l’autre, mineure, qui vivait avec sa mère. La mère de la défunte est aussi présente à l’opération.
Entrons dans la maison et passons dans une chambre éclairée par deux fenêtres. Le juge n’a fait mention que d’une armoire. Sans doute y avait-il un lit et d’autres objets qui ont été jugés sans valeur. Par le corridor qui sert de réserve pour des provisions de maïs et de seigle (sacs ou coffre ? ), nous passons dans la cuisine. Une table quelques chaises et les objets indispensables pour cuisiner dans la cheminée. A la suite de la cuisine, une petite chambre qui sert de débarras. Au bout du corridor, on peut se diriger vers la gauche dans un grand chai où sont entreposés les objets encombrants dont un bugeoir et une douve en fer blanc ou vers la droite dans une écurie où un porc voisine avec une ânesse, vieille. A noter un bât et une cage à petits poulets (vide ?).
Nous pouvons supposer que c’est dans le chai où se trouvent bugeoir et douve en fer blanc que la veuve et ses filles faisaient les lessives. Supposons de même que l’ânesse chargée de son bât transportait le linge.
Changeons de quartier. Nous voici à Jean Blanc, chez la veuve Cornet
Il y a du monde pour assister à l’opération. En effet le règlement de la succession de la veuve Cornet s’avérait complexe. Au décès de son mari, les choses étaient restées en l’état. Puis il y avait eu le décès d’un fils, héritier en partie de son père. Rien n’avait été fait. Parmi ses trois enfants vivants (deux étaient mariés), il y avait une fille (blanchisseuse), mineure, qui vivait avec elle.
La pose de scellés s’imposait, une étape qui devait permettre enfin la régularisation de la succession. Nous pouvons pénétrer dans la maison par la chambre ou par la cuisine. Les deux pièces qui communiquent ouvrent sur l’extérieur par une porte et une fenêtre (orientation au midi).
Nous pouvons constater que dans cuisine, très grande rien ne manque pour faire la cuisine, entreposer des objets (armoire, vaisselier et petit buffet), prendre ses repas (deux tables et onze chaises), se reposer (un fauteuil) et … dormir (deux lits). Nous notons le petit fourneau et le fer à tuyauter et quelques gravures sur le mur.
A la suite de la cuisine, nous passons dans un chai. Une porte donne à l’ouest. On y trouve une table, un cuvier à lessive cerclé de fer, un vieux coffre, une brouette et un cendrier en bois cerclé de fer.
Si nous revenons dans la chambre à coucher, nous constatons les belles dimensions de la pièce où trouvent place trois armoires, deux lits, deux tables, six chaises, une pendule « avec sa caisse ». Au mur, 10 gravures. Il y a une cheminée avec une glace.
Il y a un grenier au-dessus de la cuisine et du chai. C’est la réserve : 31 citrouilles (qui a compté ?) voisinent avec 12 hectolitres de pommes de terre et 200 kilos de foin).
En sortant et en faisant le tour de la maison, au nord de la chambre, se trouve le cuvier. Nous y découvrons un pressoir et sa cuve, un baril 200 fagots (environ) de pin quelques instruments de jardinage.
Il y a une écurie, adossée à la chambre à coucher. Nous découvrons un cheval avec ses harnais.
La charrette est un peu plus loin dans un hangar, une « charrette ordinaire avec essieu de fer ». Il y a aussi 250 fagots de sarments.
C’est derrière la maison que l’on trouve le lavoir avec ses deux bancs, deux bastes, une baille en bois et un arrosoir.
Les deux veuves lavaient leur linge dans un chai où se trouvait un bugeoir ou cuvier à lessive. On peut penser que la veuve Cornet transportait son linge dans une brouette pour le porter au lavoir où il était rincé. Il est possible qu’elle usait de la charrette, tirée par son cheval pour ramener le linge à Bordeaux ou ailleurs.
La comparaison des deux procès-verbaux fait apparaître une grande différence à la fois qualitative et quantitative de leur mobilier. L’histoire de leur famille explique peut-être ce décalage.
Sur cette activité, de précieux témoignages ont pu être écoutés, notés et retranscrits. Certains points restent cependant en suspens :
- Y avait-il des intermédiaires entre les blanchisseuses et les maisons bourgeoises de Bordeaux ?
- Une usine de production d’eau de Javel s’est installée à Mérignac en 1845. Quelle a été son influence sur le blanchissage ?
En annexe, la transcription des appositions de scellés des deux blanchisseuses.
Apposition de scellés chez la veuve Lafon Le 19 novembre 1854 |
Apposition de scellés chez la veuve Cornet L'an 1854 et le 22 du mois d'octobre à 3 heures de l'après midi Ayant été indirectement informé ce jour à 2 heures et demi de l'après midi que Marie Cotterousse, veuve de Léonard Cornet, blanchisseuse, est décédée dans son domicile,, commune de Mérignac, quartier de Jean Blanc, vendredi dernier, 20 du courant, laissant pour héritiers ses 3 enfants légitimes à savoir 1° Pierre Cornet aîné, tonnelier, demeurant quartier de Repentit, commune de Mérignac 2° Marie Cornet, épouse de Jacques Montalieu, blanchisseuse, demeurant dans la maison de la défunte et 3° Pétronille Cornet, aussi blanchisseuse, demeurant dans la même maison, fille mineure non pourvue de tuteur, |
En savoir plus
- Musquère (Francine), Gradignan de la vigne à la ville, Aubéron, 1995, p. 66.
- http://www.mieux-vivre-a-malartic.com/Forum.htm
- Gillard ( Ginette et Pierre), Origine et Essor des Quartiers de Mérignac, Mérignac, 2009
- Sur le site de Porte du Médoc : https:// portedumedoc.com
Rubrique : Géo humaine puis Economie puis Blanchisseuses de Gajac ou Blanchisseurs de Magudas.
A lire deux articles très complets qui vous introduirons dans le monde des blanchisseuses et, ce qui est moins connu, celui des blanchisseurs. Ils sont extraits des ouvrages suivants :- Livre de René Daix, Les blanchisseuses de Gajac, Saint-Médard-en-Jalles, éd association du patrimoine de Saint-Médard-en-Jalles, mars 2001, 32 pages.
- Saint-Médard-en-Jalles au fil du temps. Ville de Saint-Médard-en-Jalles, 1999, 180 pages. Magudas, par Renée Monchany, p.157-161.
(03/2014)