Par Monique Lambert
Un constat à l’occasion d’une banale recherche généalogique : on mourrait beaucoup à Villenave d’Ornon, entre 1840 et 1870, surtout quand on était jeune. Une petite note sur les actes de décès : « détenu ». Cela concernait le « Prado Saint-Louis », m’a-t-on dit, ou plutôt cet établissement à l’époque de sa création. Pour en savoir plus, il a fallu aller aux archives et tenter de s’y retrouver dans le montage de cette colonie qui a hébergé deux catégories d’enfants: des orphelins et des petits« détenus ». Voici très résumée, une évocation de la vie de cette petite société.
Lire la suite : La colonie agricole Saint-Louis (1840-1890) à Villenave d’Ornon
Par Monique Lambert Tout au long du XIXème siècle jusqu'en 1935, les pères de famille, inquiets du comportement de leur enfant pouvaient demander à l'autorité judiciaire l'incarcération de leur fils ou leur fille pour une durée limitée. Il s'agissait d'une mesure éducative. |
« Je vous enverrai, mon fils, en maison de correction ! ».
Fort d'une puissance paternelle bien affirmée, base de la famille au 19 ° siècle, un père pouvait user des articles 375 et suivants du code civil de 1804, s'il avait « des sujets de mécontentement très graves sur la conduite d'un enfant ». Ainsi pouvait-il requérir une mise en détention pour son fils ou sa fille. Une intervention auprès du tribunal suffisait. Aucune trace écrite de la décision prise ne serait conservée. Tout se faisait dans la discrétion. Telles étaient les modalités de la correction paternelle.
Des petits bordelais, garçons ou filles en ont goûté (1).
Dans les premières décennies du 19° siècle, c'était dans la tour de la Poivrière (2) qu'ils pouvaient être détenus. Un endroit sordide, en contact « avec la population vicieuse des prisons ». Ce qui rebutait les familles. « L'autorité gémit de ne pouvoir sévir, sans les confondre avec les malfaiteurs contre les jeunes gens de familles honnêtes qui par leur conduite, méritent un châtiment particulier que les pères et mères ... réclament souvent » déplorait le maire en 1815 (3).
En 1837, c'est l'ouverture de lieux d'accueil un peu particuliers qui a fait tomber les réticences. Un prêtre, créatif et entreprenant, l'abbé Dupuch, soucieux d' « arracher des enfants et des adolescents à la corruption contagieuse des prisons », soutenu en cela par les autorités judiciaires et municipales, avait eu une idée. A cette époque, elle était pionnière: il s'agissait d'ouvrir un établissement qui offrirait un refuge pour ceux que l'on a appelé plus tard « petits sauvageons », « exclu », « jeunes délinquants », « inadaptés », bref de la « racaille ». Dans une ambiance très religieuse, ces jeunes, envoyés par les tribunaux, des petits « détenus », pourraient acquérir une certaine instruction et apprendre un métier. Deux pénitenciers ou maison d'éducation correctionnelle, un pour les garçons et un pour les filles ont été conçus dans cet esprit. La tutelle du ministère de la justice et la bénédiction de l'évêché offraient toutes garanties pour la séquestration, en ces lieux, des enfants de la correction paternelle. Des cellules étaient prévues. Bien entendu aucun contact n'était prévu entre le fils de famille « honnête » et les petits « détenus ». Tout concourrait à rassurer des parents.
On peut trouver dans les liasses relatives au pénitencier Saint Jean quelques registres où figurent des prénoms seuls, sans patronyme. Robert, Raymond, Bruno, et bien d'autres (23 en 1841) ont été détenus au pénitencier au titre de la correction paternelle pour une durée variable (selon leur âge de un mois à six mois).
C'était par l'entrée rue Lalande qu'ils avaient pénétré dans un bâtiment austère, rafistolé pour les besoins de la cause. Il est possible qu'ils n'aient pas visité les ateliers (cordonnerie, serrurerie, atelier de tapis d'Aubusson et même une éphémère fabrique de chapeaux), ni les salles de classe, ni les dortoirs. Par contre, ils ont connu la chapelle et bien plus leur cellule exigüe (1 m sur 2) au confort rudimentaire. Trois planches sur deux tréteaux recouvertes de paille faisaient office de lit. Ils étaient là pour être corrigés. L'isolement faisait partie de leur punition. Ils avaient droit cependant à quelques récréations, dans la grande cour quand les autres enfants n'y étaient pas. Mangeaient-ils à part au réfectoire? Les contacts avec les petits « détenus » étaient formellement interdits. Etait-ce possible ? Quelques rapports déplorent que cette règle ne soit pas respectée.
Qui étaient donc ces jeunes pestiférés?
Agés de 13 à 20 ans, condamnés pour des motifs souvent futiles, ils n'avaient pas eu la chance de bénéficier d'un soutien familial. Ils venaient de toute la circonscription judiciaire soit des Charentes aux Pyrénées en passant par le Périgord. La durée de leur peine, variable de quelques mois à quelques années, échappait à toute logique. Détention acceptée ou subie ? Ils fuguaient, se révoltaient, se faisaient punir, tombaient malades et . mourraient. Le taux de mortalité avait été tel vers 1856, que les autorités municipales avaient diligenté un comité pour rechercher les causes de ce phénomène (4). « L'onanisme serait la principale sinon l'unique cause du développement de la phtisie pulmonaire chez les jeunes détenus » concluait dans son rapport le docteur Levieux, secrétaire général du Conseil d'hygiène.
Ces réserves n'empêchaient pas les pères de famille de solliciter un séjour en maison d'éducation correctionnelle, autant pour leurs garçons que pour leurs filles.Pour ces dernières, on avait plaidé ainsi la nécessité d'une séquestration, vers 1840 « C'est surtout pour les enfants du sexe qu'un moyen de répression est nécessaire aux familles quand un désordre naissant fait craindre une perversité précoce. La vanité est souvent l'appât séducteur dont se sert le vice pour prendre l'innocence trop frivole des jeunes filles. C'est à la naissance de ces coupables habitudes qu'il faut arrêter le mal dont les passions hâtent bientôt le déplorable développement ; la séquestration devient alors nécessaire et l'isolement, accompagné des sages leçons de la religion peut faire rentrer dans les voies de l'honneur de pauvres filles que leur inexpérience et leur légèreté auraient perdu pour toujours » avait plaidé l'abbé Buchou. Les jeunes filles étaient reçues rue Mercière (près du cours de la Somme) au Pénitencier Sainte Philomène, tenu par des religieuses. |
Dès leur entrée dans l'établissement, elles bénéficiaient d'une cellule, « propre et bien aérée ». Contrairement aux garçons, elles n'étaient pas soumises à l'isolement. Durant la totalité de leur séjour elles partageaient la vie des autres petites détenues, dans les ouvroirs « L'ordre de la maison est établi de manière que le travail en silence et en commun et le coucher au dortoir général est pour les jeunes filles insoumises la récompense de leur retour à l'obéissance » expliquait un visiteur. Tout était mis en ouvre pour qu'elles deviennent de bonnes ménagères obéissantes et conformes à ce que l'on attendait d'une personne « du sexe ».
La correction paternelle a-t-elle eu des effets bénéfiques? On ne sait. Toujours est-il que la mesure avait bonne renommée. « Tous les jours les demandes de plusieurs parents sont repoussées faute de place » déplorait un membre du conseil municipal. Aux archives municipales, on peut lire des lettres justifiant des demandes de correction paternelle (5).
Pourquoi un tel engouement ? Une hypothèse : le directeur des établissements, l'abbé Buchou (6), respectable et estimé avait bonne réputation. Il avait créé une colonie agricole à Villenave d'Ornon, un établissement pionnier qui, pendant des décennies, avait suscité de la part des autorités les remarques des plus élogieuses.
En 1862, tous les garçons pensionnaires de la rue de Lalande ont été transférés à Villenave d'Ornon dans des lieux plus salubres. Les enfants de la correction paternelle ont connu de nouveaux locaux. Pour peu de temps. En 1870, le pénitencier a fermé ses portes.
Celui de Sainte Philomène a maintenu ses activités jusqu'à sa fermeture par le ministère de la Justice en 1883.
Les dispositions de la correction paternelle n'ont été supprimées qu'en 1935. Comment les autorités ont-elles pu répondre aux demandes des parents bordelais ? On ne sait.
Notes
(1) ADG 33 Y 261
(2) AMB 4804 - I - 1
(3) Il avait pris la suite de l'abbé Dupuch nommé premier évêque d'Alger
(4) AD33 série T et AMB
(5) Visible depuis la rue des Frères Bonie
(6) 4N 111 - 112 - 113
11/2012
EducationDans cette rubrique seront présentés des sujets concernant : l'enfance, l'enseignement primaire, secondaire, universitaire, les relations parents-enfants et la place de l'enfant dans la famille et la société. |
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Par Monique Lambert Au début du XIXème siècle, ces jeunes enfants ne venaient pas de Savoie, mais du Massif Central, en particulier de Blesle (Haute Loire). C'est au début de l'hiver qu'ils arrivaient, par groupes, menés par un adulte ; Ils allaient ramoner les cheminées pendant quelques mois ; la fin du printemps, ils repartaient ou restaient pour une nouvelle année. On les appelait les « petits savoyards », comme ces anciens qui, originaires de Savoie ont longtemps ramoné avant de devenir « frotteurs ». Que sait-on d'eux ? Lire la suite : Les petits savoyards venaient de Blesle (Haute-Loire) |