Le voyage a été trop long et trop coûteux pour que le garçon boucher envoyé par son maître, le sieur François Delit, habitant la rue des Herbes, paroisse Sainte-Colombe, accepte de sacrifier ses animaux.
L’approvisionnement en viande boucherie
Ces trois bœufs viennent vraisemblablement du marché de la ville de Créon, où ils ont été achetés trois cents livres au marchand Megret. Malgré le manque de sources statistiques, Créon semble être un marché important où s’approvisionne un grand nombre de bouchers de Bordeaux.
Les bêtes destinées à la boucherie bordelaise appartiennent à la famille des bovins et des ovins comme le veulent les Statuts de la ville de Bordeaux. Les maîtres bouchers ne peuvent donc que tuer, découper et vendre de la viande de bœuf, veau, vache, mouton ou agneau. Cette bastide de l’Entre-deux-Mers concentre une bonne partie de cet approvisionnement en viande. C’est aussi un pôle d’échanges entre les débiteurs de viande et les marchands de bestiaux. Ces derniers semblent venir de différents horizons: le sud du Limousin actuel, du Périgord ou d’autres régions encore indéterminées. Par exemple, le sieur Lafontaine, marchand de route de Ribérac, profite du jour de ce marché pour faire affaire et proposer à Henry Guerry, maître boucher de Bordeaux, treize bœufs très gras qui doivent être vendus dans une foire parallèle.
Une fois achetés, nos trois bœufs prennent la direction de l’ouest, vers la Garonne, qui constitue un obstacle parfois infranchissable. Ils se dirigent vers le port de La Bastide, parmi d’autres troupeaux de bœufs. Ces convois de bestiaux se retrouvent dans les ports face à la ville de Bordeaux et son marché de plus de cent mille âmes. Le port de Lormont est aussi fréquenté pour la traversée des troupeaux. Plus en amont, Camblanes est aussi un lieu d’embarquement. L’attente des conditions favorables à la traversée a son utilité: elle sert à marquer les bêtes de la marque de l’acheteur, c’est-à-dire du boucher de Bordeaux. Ainsi, le garçon boucher de François Delit, dès la réception des trois bœufs sur la rive droite, officialise le changement de propriétaire et impose sur les bestiaux la marque de son maître.
Le voyage n’en est pas pour autant terminé. La rivière franchie, les bouchers de Bordeaux parquent leurs bêtes dans des prés ou barrails pour les engraisser.
La mise en pacage
Les bœufs ou moutons ont pu parcourir une centaine de kilomètres voire plus avant d’arriver à bon port. Nos trois animaux sont donc amaigris et fatigués. Cette indisposition fera diminuer les bénéfices du boucher s’il débite la viande une fois la Garonne traversée. La mise en pacage est donc indispensable en vue d’un engraissement rapide. Cette phase est nécessaire pour le boucher qui la vend au poids sans tenir compte de la qualité du morceau.
Les prés utilisés pour la pâture se trouvent le plus souvent autour de la ville, dans sa proche banlieue. L’endroit le plus apprécié est la palu de Bordeaux, au Nord de la Ville, ou les paroisses proches de la Garonne, à une distance inférieure à quinze kilomètres. Ces terres très humides sont très herbeuses. L’extension du domaine viticole et du tissu urbain bordelais est impossible sans d’importants travaux d’assèchement et de drainage. Une partie de la palu est donc transformée en lieu de pacage. Les troupeaux se dirigent dans le prolongement du faubourg des Chartrons ou vers les paroisses de Bègles, Cadaujac, d’Eyzines ou de Bruges.
Les maîtres bouchers dépensent des sommes énormes dans la location d’un pré pour le pacage de leurs bêtes. Ainsi aux termes d’un contrat de bail en date de 1722, le boucher Jean Dupuy loue un barrail dans la palu de Bordeaux pour six cents livres pendant cinq années. Pierre Lévêque, également boucher, reprend cette ferme en 1741 pour la coquette somme de mille livres. De même, Jean Poupard, dépense la somme de trois cents quatre-vingt-dix-huit livres pour un droit de pacage d’un an dans la paroisse de Bègles, et Martin Lévêque paye la somme de huit cents livres par an pendant sept années pour avoir le droit de mettre son bétail dans la paroisse de Bruges.
La rive droite n’en est pas pour autant délaissée. Henry Guerry, maître boucher, demeurant rue du Mû, paroisse Sainte-Colombe, en investissant à Camblanes, dans des terres de palu, décide d’engraisser son bétail, avant le franchissement de la Garonne. Aux baux de ces terres herbeuses, sont souvent inclues des granges où les animaux s’abritent.
Le temps passé dans les prés est plus ou moins long, suivant l’activité du boucher. François Bouyé met cinq semaines pour tuer et débiter à la population bordelaise les cent-vingt-sept moutons, mis en pacage à Bègles en janvier 1731. Le boucher peut être perçu comme un éleveur, avant d’exécuter pleinement son rôle de tueur et débiteur de viande de boucherie suivant ses statuts.
L’abattage sur le marché de BordeauxUne fois engraissés, nos trois bœufs entament la phase finale de leur route et se retrouvent au cœur de Bordeaux, à l’Est de la Cathédrale Saint-André, près de l’actuel Cours Alsace-et-Lorraine. À cet endroit, se trouvent trois rues qui constituent le centre névralgique de la boucherie bordelaise: la rue du Mû, la rue des Trois Canards et la rue des Herbes. C’est un des lieux d’abattage des bêtes de boucherie les plus importants de Bordeaux. Et nos trois bœufs s’y dirigent, après que le garçon qui les escorte, a payé le droit du pied fourché à l’entrée d’une des portes de la Ville. Ils ne leur restent plus que quelques heures à vivre et nous pouvons imaginer sans mal, les dégâts qu’ils peuvent causer s’ils s’échappent, affolés par l’odeur de la mort. |
En 1796, environ un quart des quatre-vingt-treize bouchers vivent dans ces trois rues. Les effectifs des maîtres bouchers, sous l’Ancien Régime, sont plus faibles.
Les Statuts de la ville préconisent cinquante membres et près de la moitié est concentrée dans ces ruelles étroites qui descendent vers la Garonne. Cette localisation spécifique à la communauté des maîtres bouchers de la ville de Bordeaux s’explique par deux facteurs : la présence du Peugue d’une part et celle des Grandes Boucheries d’autre part, situées sur la place du Grand Marché, à quelques encablures de la Cathédrale Saint-André. Les abattoirs sont implantés sur le Peugue, dans lequel les bouchers jettent sans scrupule, du sang et les carcasses des bestiaux. L’eau de ce ruisseau charrie donc ces déchets jusqu’à la Garonne. Dans la rue des Trois Canards, le Peugue passe derrière les maisons, ou sous ces dernières. Au rez-de-chaussée est installée une tuerie. Les bêtes y sont amenées, en passant par ces trois rues étroites et tortueuses, héritières de la période médiévale, sans cesse obstruées par le passage des troupeaux. Les trois bœufs du sieur Delit vont donc être tués puis dépecés quelque part dans une de ces maisons. Desgraves dans son Évocation du vieux Bordeaux, nous explique qu’une puanteur infecte règne à cet endroit. La rue des Herbes, ne doit pas sentir seulement le thym et le romarin. |
La vente de la viande à Bordeaux
Une fois découpée en quartiers, la viande provenant des trois bœufs est vendue sur un des bancs ou étaux de la place du Grand Marché. Sur cette place et sur les rues adjacentes, sont implantées les Grandes Boucheries. Cet endroit n’est pas seulement destiné au débit de la viande de boucherie mais aussi à toutes sortes de comestibles: volailles, poissons, gibier, légumes et le pain. La place est organisée spatialement. Au centre se trouvent la poissonnerie, à l’Est la paneterie et à l’Ouest le pilori et le pavillon où se vendent la volaille et le gibier. Au Nord de ce Grand Marché, dans la rue des Épiciers, jusqu’à l’intersection avec la rue des Herbes et au début de celle-ci, les bancs qui composent les Grandes Boucheries de Bordeaux, sont loués ou achetés par des bouchers. Sur ces bancs, la viande est exposée, découpée sous les yeux des Bordelais. Il y a quarante-deux bancs dont la plupart appartient à l’Hôpital Saint-André et les autres à différents seigneurs laïcs ou à des congrégations religieuses. Les bancs ont un nom de Saint et se louent à des prix élevés. Ainsi en mars 1741, Marguerite et Jeanne Rateau, marchandes bouchères prennent le banc carnassier appelé Saint-Thomas pour quatre cents livres par an. Etienne Sandré, aussi marchand boucher prend en ferme celui appelé Saint-Jude pour six cents livres par an. |
Les bancs sont affermés aux grandes familles bouchères de Bordeaux. Nous retrouvons les familles Bouyé ou Boyer, Guerry, Jamon, Joguet, Rateau, Sandré et Soubran au cœur de ce commerce.
La boucherie est une histoire de famille
La boucherie est un monde replié sur lui-même. Les protagonistes tissent de profonds liens entre eux. Les mariages en sont un parfait exemple. En l’état actuel de nos recherches, nous avons constaté qu’un grand nombre de contrats de mariage se concluent dans le cercle fermé de la boucherie bordelaise. De véritables dynasties se créent à partir du règne de Louis XIV.
Ainsi le contrat de mariage du 28 janvier 1747 reçu par Maître Brun, notaire à Bordeaux, rue du Cahernan, Paroisse Sainte Eulalie, est un témoignage de la forte endogamie existant au sein de ces familles bouchères. Guillaume Sandré, maître boucher, fils de Jean Sandré, aussi boucher, convole en premières noces avec Jeanne Soubran, fille d’Arnaud Soubran, maître boucher. Les témoins choisis par les deux parties au contrat sont également membres de cette communauté. Le futur époux est assisté de son frère Guillaume, boucher; de son oncle, Jean, boucher marié à Thérèse Boyé ; de son cousin germain, Etienne, boucher, époux de Flore Rateau ; de sa sœur Flore, mariée à Jacques Boyé, boucher ; de son autre frère, Simon, boucher; de sa cousine, Jeanne Rateau, marchande bouchère ; et de son autre cousin, Guillaume Rateau, boucher. Même son de cloche pour la future épouse: elle est entourée de ses deux frères, Jacques et Pierre, bouchers ; le premier marié à Élisabeth Boyé ; de sa cousine, Michèle Soubran, mariée à Jean Sandré, boucher; de sa cousine, Françoise Boyé ; et d’un autre cousin Pierre Boyé, boucher. |
Les réseaux du commerce de la viande à Bordeaux sont très difficiles à cerner, étant donné la diversité des sources archivistiques souvent éparses. Nos investigations dans le cadre de notre thèse ne sont pas encore menées à terme. Mais chaque information glanée au fil des minutes notariales est une pierre de plus à ajouter à cet édifice de la connaissance du Bordeaux d’autrefois.
Article rédigé en 2004.
L’auteur, un jeune doctorant, est décédé quelques années plus tard sans avoir pu mener sa recherche à son terme.
Novembre 2021
Monique Lambert
Deux feuillets manuscrits soigneusement classés au milieu de dossiers qui concernaient les sociétés de secours Mutuels. Il s’agissait de règlements, rédigés en 1839, qui fixaient le montant des amendes encourues par des compagnons bourreliers pour manquements aux règles de vie de leur société. Le contenu des feuillets ne manque pas d’intérêt, mais on peut aller plus avant. Essayons d’autres perspectives. |
A Bordeaux une maison des compagnons du Tour de France
Le manuscrit mentionne une adresse : le n° 10 de la rue de la Vieille Tour. Une maison bien connue des compagnons du Tour de France. Ils savaient y trouver là le couvert – une table et le gîte - un lit à partager avec un autre compagnon, comme de coutume. |
Sur le site cahiers d’archives, on peut lire un article qui présente d’autres lieux d’accueil des compagnons.
http://www.cahiersdarchives.fr/index.php/22-publications/metiers/81-corporations-retrouver-les-adresses-des-peres-et-meres-des-compagnons
Un échafaudage
Les bordelais connaissaient de la rue de la Vieille Tour son échafaudage persistant depuis des années et qui semblait être là pour l’éternité .. jusqu’en cette fin d’année 2015 où les curieux présents dans le quartier ont pu assister à l’enlèvement progressif des matériaux et retrouver les immeubles dissimulés depuis si longtemps. Un projet d’aménagement est en cours. Permettra-t-il de retrouver quelque chose de la maison des compagnons ? |
Un siège social pour une société de Secours Mutuels
Il est probable qu’en ce milieu du XIXème siècle, l’établissement tenu par Lesbats devait tenir lieu de siège social pour les compagnons qui souhaitaient constituer une société. Les documents qui nous intéressent ont été trouvés sous la cote 4 X 82 qui regroupe des pièces relatives aux Sociétés de Secours Mutuels, actives parfois jusqu’à la création de la Sécurité Sociale |
.
Des compagnons bourreliers étaient concernés. Sans doute avaient-ils rédigé des statuts dont nous n‘avons pas la teneur. Seuls subsistent deux feuillets.
Les bourreliers
Rappelons que le bourrelier fabriquait, vendait et réparait les harnais et sellerie des chevaux. Il équipait les bêtes de somme. Il intervenait également dans ce qui constituait l’intérieur des calèches, carrosses Origine du nom : la « bourre » dont le dictionnaire de l’Académie donne la définition suivante : « Amas de poils détachés de la peau de certains animaux à poil ras, tels que les bœufs, les vaches, les chevaux. La bourre sert à garnir des selles, des bats, des tabourets, etc. » |
Pour en savoir plus, on peut consulter le site :
http://www.jschweitzer.fr/m%C3%A9tiers-anciens/bourrelier/
Des règlements qui donnent à voir sur le mode de vie et les bonnes manières que doivent observer les compagnons.
Prenons quelques exemples : art 6 des aspirants : une amende de 1f50 pour n’avoir pas assisté à l’enterrement d’un membre de la Société ou bien art 3 des compagnons et aspirants : amende pour celui qui posera sa casquette ou son chapeau sur la table
Ci-dessous la transcription des deux textes. L’orthographe a été respectée.
Texte concernant les aspirants : les manquements sont punis d’une amende variable
Reclement des aspirants bourreliers de la ville de Bordeaux
actuellement Rue Vieille Tour N°10 chez Lesbats
Art .1 Tout aspirant qui excitera quelques membres de la société à parler
dans la discution ou gater dans les déliberations pour ou contre sera passible d'amande
Art.2 Tout aspiran qui manqueraient d'assister a l'assemblée régulière
qui est tous les 1° dimanches du moi sera passible d'une amande de 50 c
Art.3 Tout aspiran qui refuseraient et sans cause légitime de convoquer
l'assemblée sera passible d'amande de 50 c à 3 f
Art.4. Tous aspiran qui commandera L'assemblée avec une mise
salle ou indéssante l'amande lui sera appliquée et s'il se trouvaient
dans un état d'ivresse il seraient a l'amnde de 3 f.
Art.5. Tout aspiran qui decachettera une lettre ou paquet
adressé à la Société sans otorisation sera a l'amande de 1 f.
Art.6. Tout aspiran qui sans cause légitime manqueraient
d'assister a l'enterremant d'un manbre de la Société sera a l'amande de 1f50
Art.7. Tout aspiran qui troublera l'ordre et la tranquilité de
la maison sera dabor repris par le presidan pour la 2°fois
passible d'une amande de 1 f.a 2 f. et pour la 3° fois il sera rayé
définitivement de la société et signalé aux villes de la corespondance.
Art.8. Tout aspiran qui manqueraient de respect au chef de l'etaplisseman
ainsi quaux domestiques sera a l'amande de 1 f.
Art.9. Tout aspir qui pour cause d'ivresse feraient des saletés dans la salle
a mangé ou dans les chambres a couché sera a l'amnde de 2 f
Art.10. Tout asp. qui troublera lespas public après lheure indue sera a l'amande
Art.11. Tout aspir. qui viendraient a frapper un membre de la Société
sera passible d'une amande depuis 1 f. jusqua 5 f. et interdit des assemblées depuis
2 jusqu'à 6 et s'il y a lutte l'adversaire subira la moitié de la peine du même genre
que celle du provoqueur.
Art.12. Tout aspir. débiteur a la Société ou a l'établisseman qui
anporterait sa malle de la chambre sera puni d'une amande de 3 f. et interdit.
Art.13. Tout aspir. Vu l'article 72 ou on a considéré que les jeux
d'intérêts d'ésunissent les membres d'une Société quelqonque et que souvan il
devient une passion funeste a l'homme. tout compagnon ou aspiran qui jouera
de l'argent chez la Mère sera a l'amande de 1 fa 2 f.
Fait par nous tous compagnons et aspirans de la ville de Bordeaux le Mars 1839
Les chefs du bureau des aspirants bourreliers
Guerin Eugène
Blanquefort Jean Dellair Alexandre
Texte concernant les compagnons et les aspirants : le montant de l’amende n’est pas précisé
Reclement des compagnons bourreliers
de la ville de Bordeaux actuellement Rue
Vieille Tour N°10
Savoir
Chers compagnons Soyons toujours fidele a se devoir qui enflamme
le coeur des hommes qui vivent dans lespérance de connaitre ce mistere qui
fait L'honneur et La gloire de ceux qui ont le bonneur de regner sur sa puissance.
Art 1. Tout compagnon ou aspiran qui rantrera chez la mère san saluer
sera passible d'une amande.
Art 2. Tout compagnon ou aspiran qui rantrera chez la mère sans veste ou sa
cravatte sera passible d'une amande.
Art.3 .Tout compagn. ou aspir qui s'assiera ou qui posera son chapeau
ou sa casquette sur la table sera passible d'une amande.
Art.4. Tout comp. ou aspir. qui se permettra soit avec un couteau
ou avec autre chose des degas sur la table sera passible d'une mande.
Art.5.Tout comp. ou aspir. qui se permettra d'allumer sa pipe ou
son cigarre pandan L'heure du repas dans la salle sera a l'amande.
Art.6 Tout compagn. ou aspir. qui se permetrtaient de décoiffer
Les uns ou autres seront passibles d'une amande.
Art.7. Tout Comp. ou aspir. qui en mangeant ou buvan répandron
du vin sur les nappes seront passible d'une amande.
Art.8.Tous comp.ou aspir. qui se permettraient de tenir a table
des propos indecens soient envers le père ou la Mère ou la domestique
sera passible d'une amande.
Art.9 Tout compagnons ou aspirans qui s'occuperaient d'affaires
autres que celles qui regardent personellement la société seraient
sur le chan exclus et ne pourraient plus en faire partie.
Art.10. L'honneur, la vertu, la gloire et la Franchise
d'un vrai compagnon voila la devise. La justice seule est
notre guide.
Fait par tous les compagnons de la ville
de Bordeaux le 1 mars 1839
Les chefs de la société et de Bareau
Prosper Disdier Parquet françois secrétaire
Rabouin Auguste trésorier
C B D D
(01/2016)
Documentation : Patrick Moyon Mise en ligne : Monique Lambert Elle était bien dans l’embarras cette loueuse de chaises. Jeanne Tardit exerçait son activité dans la Chapelle du Temple. Jusqu’alors la confiscation des biens de l’Eglise n’avait pas eu trop de conséquences sur son activité. Tout s’est compliqué pendant cette période difficile que l’on a appelée la Terreur. La Chapelle n’était plus accessible et elle souhaitait reprendre ses chaises. Pas si simple. On peut trouver sous la cote ADG 1 Q 881 les traces du déroulement de cette affaire qui ne fut pas traitée à la légère comme on peut en juger au travers du document. |
Un lien entre cette chapelle et la rue du Temple à Bordeaux ?
Le nom de cette rue évoque en effet une construction disparue dont il reste peut-être quelques pierres dans les fondations ou les murs.
La chapelle avait été construite par la Commanderie du Temple un ordre créé le 13 janvier 1129
Bordeaux étant le chef-lieu d'une importante Commanderie des 1167, ne pouvait pas passer au travers de la vague de construction du « grand manteau blanc » qui a parcouru l’Occident. Pierre de Saint Jean a fait construire la chapelle Notre Dame du Temple vers 1180 sur la paroisse Notre Dame du Puy Paulin.
Modeste, 22,6 mètres sur 7,20 de large. Six fenêtres et un clocher muni de deux cloches, Elle s'appuie sur la façade nord du castrum romain englobant une partie du mur et une tour sur notre cours de l'Intendance (fossats de Campauria en 1330). Vers le sud, la rue Porte Dijeaux ou Grande rue du Temple (1337) en était la limite. Vers la place Gambetta, c’’est l'impasse du Temple devenue la rue du Temple fin 19s et vers la Garonne, c’est la rue de Grassi, l'antique rua Porta Neda, 1310 (rue Porte Neuve).
Une cour, la maison du Commandeur, sept maisons, un puits très profond (nous sommes a douze mètres d'altitude...) et le cimetière a l’arrière et coté de la chapelle formaient la sauveté.
Après la chute du Temple (13 mars 1312), les propriétés ont été données aux Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem qui les ont gardées jusqu'à la Révolution. Elles onLa chapelle a survécu jusqu'à la fin du XIX ème siècle.t été vendues entre l'an 3 et l'an 6 de la République comme biens nationaux.
La chapelle a survécu jusqu'à la fin du XIX ème siècle |
Voici ci-dessous le résumé chronologique de l’affaire.
21 mars 1794 . Jeanne Tardit a dû rédiger une pétition : Elle demande les clés de la chapelle pour reprendre ce qui lui appartient. Dans la cour de la chapelle, il y a un chai, construit en bois, dans la chapelle, il y a des chaises et d’autres effets.
16 avril 1794
Le citoyen Oulies, traiteur occupant l’hôtel de Malte rue porte Dijeaux expose « qu’il tient à loyer cette maison depuis quatre années » « le bail est expiré depuis le 10 avril dernier », « au prix de deux mille trois cent livres ». Il est le « principal fermier de la commanderie du temple de Bordeaux ». Il certifie que toutes les chaises et prie-Dieu qui sont dans la chapelle appartiennent à Jeanne Tardit qui les a achetés ; Il y a aussi « deux échelles et un hangar en planches dans la cour à côté du puits ».
2 mai 1794 Le citoyen Reand doit s’assurer de la véracité des faits
4 juin 1794 Le directeur de l'agence nationale de l'enregistrement et des domaines estime qu'il y a lieu d'autoriser la pétitionnaire à retirer chaises, échelles et planches "par elles réclamées, à charge d'affirmer que sa demande est légitime". |
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Transcription de l’intégralité du texte dans sa forme et sa chronologie
Aux Citoyens Membres du District
du Bec d'Ambes
Citoyens
La citoyenne jeanne Tardit cy-devant loueuse de chaise a la chapelle du si-devant Temple de rue porte Dijaux a l'honneur de vous adresser sa petition afin d'obtenir de vôtre justice la Permition Di faire sortir des effets a la dite Tardit Comme luy appartenant qui sons dans la chapelle de la ditte cour du temple Comme chaises et autres effets ainsi qu'un chay dans la ditte cour construit en plancher luy appartenant aussi La Citoyenne Tardit espére que vous pramdrois en considération la réclamation quelle vous fait dans sa pétition et luy confier les clés de la dite Chapelle pour y faire sortir les effets designer si dessus luy appartenant.
Bordeaux le 29 ventôse 1 germinal an 2 de la République française une et indivisible
janne Tardit
Soit Communiqué à la Municipalité de
Bordeaux pour faire attester les faits
Délibéré en Séance Publique du Conseil du Disttrict de
Bordeaux le 26 Germinal l'an 3 de la R. que.fse
Monviller
Durouquilheur
Le citoyen Ruand membre du conseil c'est assuré que les éfets cela même ou d'autre part sont une propriétés particuliére à la pétitionaire don il suis qu'il en est de la justice de lui en faire faire la remise. Bordeaux le 1 prairial an 2 de la république une & indivisible
Champons
Hospital
Clemenceau
Dutasta
Vu la pétition de la citoyenne Jeanne Tardit cy-devant loueuse de chaises à la chapelle du ci-devant Temple rue Porte Dijeaux tendante à être autorisée de faire sortir de la susditte chapelle les chaises qui y sont renfemée & qui lui appartiénne, vû le renvoie du District à la municipalité pour faire veriffier les faits , et le rapport du citoyen Ruand Notable commissaire nommé à l'effet de fournir les renseignements necessaire a ce sujet.
Le conseil général de la commune , oui l'agent National estime d'aprés le Rapport de son commissaire que les dite chaises réclamée par la pétitionnaire sont réellement sa Propriété & qu'il est de toute justice quelle obtienne la Main levée
Délibéré en conseil Général de la commune de Bord. Le 10 Prairial de l'an seconde de la République Française une et indivisible
Cogeruit, officier
Moutaunt
Vù la Pétition présenté par la citoyenne jeanne Tardit ci-devant loueuse de chaises à la chapelle du ci-devant temple tendante à etre authorisée à sortir de cette maison les chaises, deux echelles & les planches ayant servi à former un hangar dans la cour, vu aussi les observations de la Municipalité de Bordeaux
Le Conseil du District de Bordeaux
Considérant qu'il résulte des renseignements pris par le C Ruand Membre du Conseil de la Municipalité de Bordeaux et commissaire nommé a cet effet que les objets réclamés par la pétitionnaire sont sa propriété
& d'avis que la petitionnaire est autorisée a retirer les chaises, échélles & plancher par elle réclamés attendu quelle justifie que c'est sa propriété à la charge néanmoins d'affirmer par serment que la demande est légitine
Délibéré en conseil de District de Bordeaux le 9 Prairial l'an 2 de la R. FR.
Duret
donril
lacoste
girad
Le C. Ruaud notable s'assurera des faits enoncé de l'autre part et faira son rapport
Bord. Le 13 Floréal l'an 2 Rep.
Haussade, greffier
Soit communiqué au directeur de l'agence du domaine Nationaux à Bordeaux pour fournir les observations délibéré en séance publique du directoire du département du bec d'anbes à bord. Le 13 prairial an 2 de la RP. Une et ind.
Lebras, secrétaire
Du 1 Germinal l'an 2
N° 6738
La citoyenne jeanne tardit ci-devant loueuse de chaises demande d'etre autorisé a retiré de la chapelle ci-devant du temple situé rue porte dijaux , tout les effets a elle appartenant qui se trouve dans la dite chapelle
N°83
La citoyenne Jeanne Tardit ci-devant loueuse de chaises
N°213
Bordeaux
recus le 11 prairial
N°195
enreg 58
Le Directeur de l'agence nationale de l'enregistrement et des domaines d'aprés les observations de la municipalité de cette commune estime en se référant a l'avis du district du 9 de ce mois qu'il y a lieu d'autorisé la pétitionnaire a retirer de la ci-devant chapelle du Temple de Bordx. Les chaises, échels et planches par elle réclamé, a la charge par elle d'affirmer par serment devans le district que la demande est légitime fait a Bord. Le 16 Prairial an 2 de la république Française une et indivisible
Peat
n°22
Le citoyen oulies, Traiteur, occupant le ci-devant hôtel de malte , rue porte dijeaux, expose qu-il tient a loyer cette maison depuis quatre années et dont le bail est expiré depuis le 10 avril dernier
au prix de deux mille trois cent livres
je sousingniet et certifies commes principal fermier de la commanderie du temples de bordeaux que toutes les chéses et pries dieux qui son dans la chapelle du temple appartient a la citoyenne jeane tardy commes les ayant achetées a ses dépant avec un soleux(?) et deux echeles de plus un angar en planches dans la cour a côté du puy en foy de quoy a bordeaux 26 germinal l'an segon de la république française une te indivisible
oulies
(01/2016)
Monique Lambert
Une rencontre fortuite chez Elie Bouron notaire à Castres en 1790 : celle d’une loueuse de chaises. Une opportunité pour évoquer un petit métier, le plus souvent réservé aux femmes.
Ce samedi 2 mai 1790, la fille du maître de pension de Castres, âgée de 27 ans, signait un contrat de louage de chaises qui l’engageait pour 3 ans. Il était convenu que pendant cette période elle assurerait la location des 164 chaises de l’église de Castres. |
Une période révolutionnaire
On peut s’étonner de la signature d’un tel acte le 2 mai 1790 soit en période dite révolutionnaire. Depuis quelques mois, les évènements s’étaient succédé : la prise de la Bastille le 14 juillet de l’année précédente puis la nuit du 4 août mois avec l’abolition des privilèges. Puis le 2 novembre 1789 un décret qui avait mis les biens ecclésiastiques à la à la disposition de la Nation.
Comment expliquer dans un tel contexte les termes d’un acte qui engageait les biens d’une paroisse, comme si rien ne s’était passé ? De fait la dépossession des biens d’Eglise avait été progressive.
Un décret de novembre 1789 engageait certes l’Etat à "pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres des autels, au soulagement des pauvres, aux réparations et reconstructions des églises, presbytères, et à tous les établissements, séminaires, écoles, collèges, hôpitaux, communautés et autres". Mais, par dérogation, les fabriques demeuraient administrées, comme antérieurement par les conseils de fabrique. Rappelons que la fabrique regroupait un certain nombre de personnalités qui avaient pour mission de collecter et d’administrer les fonds et revenus nécessaires à la vie de la paroisse.
Aussi c’est très légitimement que ce 2 mai 1790, Jean Ameau pouvait proposer un bail pour la location de chaises dépendant de l’administration de la Fabrique.
Quel est le contenu du contrat ?
Le bail est souscrit pour la durée de trois années depuis le 25 avril 1790 (fête de Saint Marc) jusqu’à la veille de la fête de Saint Marc à titre de ferme pour quatorze douzaines de chaises « bonnes et serviables ». Ces chaises appartiennent à l’église. Françoise Pellé peut en jouir et en percevoir le droit de louage. A charge pour elle de payer 300 livres pan an. A la fin du bail Françoise Pellé doit rendre les chaises. Si des réparations s’imposent, Françoise devra faire l’avance des frais qui seront déduits des trois cent livres qu’elle devrait payer. ADG 3 E 33499
Ce qui signifie que Françoise Pellé prend à bail 168 chaises qu’elle louera aux paroissiens de Castres. On regrette de ne pas avoir plus d’informations sur les modali tés de la location : une pièce à chaque utilisation ou une somme qui ouvre droit à utilisation de la chaise une année durant ou d’autres modalités de réservation. Pas d’information non plus sur le coût des places par rapport à l‘emplacement. Il était possible que les chaises des premiers rangs soient recherchées.
Françoise Pellé devait donner chaque année 300 livres, ce qui n’est pas une somme négligeable. La somme de 100 livres correspondait au prix d'achat d’un bœuf.
Qui était Françoise Pellé la loueuse de chaises ? |
Elisabeth Boret a pris la suite
Le nouveau contrat à titre de ferme a été souscrit entre Pierre Jaunie « fabriqueur » de l’église Saint Martin de Castres et Elisabeth Boret épouse de Jean Guerin, matelot.. On retrouve la même quantité de chaises, soit 14 douzaines. Le fermage est signé pour une durée de trois ans soit du 1 juin 1792 jusqu’au 31 mai 1795 pour une somme de 265 livres par an payable « demy année par demy année échue ». Il est noté que le fermage avait été l’objet d’une adjudication et qu’Elisabeth Boret était « la plus offrante et la dernière enchérisseuse ». ADG 33501
Nous n’avons que peu d’informations sur cette loueuse de chaises. Orpheline, elle avait épousé quelques mois auparavant un marin, d’ailleurs absent au moment de l’acte. Il n’y a pas trace de sa signature sur le contrat et son acte de mariage. On peut penser qu’elle était illettrée. |
Que sont devenues les 168 chaises de l’église Saint Martin de Castres ?
(11/2015)
Par M. Lambert Un débat actuel : la place de l’animal dans ses relations avec l’homme. Des réflexions tant philosophiques qu’anthropologiques. Un document dès 1854 suggère la prise en compte de la souffrance animale.Dernièrement, le 30 octobre 2014, en deuxième lecture, les députés ont reconnu aux animaux la qualité « d’êtres vivants doués de sensibilité ». Ils étaient considérés jusqu’alors comme des « biens meubles ». |
Elle concerne les pratiques des garçons bouchers à l’abattoir de Bordeaux.
Rien n’indique quels faits ou circonstances ont motivé la démarche du commissaire auprès du Tribunal
Question : Doit-on verbaliser et provoquer l'application de la loi du 2 juillet 1850 contre les garçons bouchers qui, dans l'intérieur de l'abattoir, portent des coups d'instruments tranchants aux animaux destinés à être abattus, leur font ainsi des blessures qui répandent du sang et donnent ainsi des preuves de barbarie inutile ?
Il est fait mention de la loi du 2 juillet 1850 : « Seront punis d'une amende de cinq à quinze francs, et pourront l'être d'un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques ». A l’origine de cette disposition : le général Jacques-Philippe Delmas de Grammont (1796- 1862). La Société Protectrice des animaux existait déjà. Elle avait été créée en 1845 par le docteur Etienne Pariset.La réponse du président du Tribunal, toute en nuances, figure en annexe. On peut y noter que les animaux destinés à l’abattage sont considérés comme des « animaux domestiques ». Il est avancé que c’est moins l’intérêt des animaux que le législateur avait en vue que l’humanité et la morale publique, l’adoucissement des mœurs. |
L’abattoir peut-il être rangé dans la catégorie des « lieux publics » ? C’est un point important car le texte de loi précise que les mauvais traitements ne sont punissables qu’exercés publiquement. Or l’abattoir de Bordeaux, édifice municipal, accessible à tous ceux qui veulent y pénétrer, est considéré comme un « lieu public ».
Il est préconisé de la part du maire un arrêté qui préviendra les habitués de l’abattoir que l’on sévira désormais contre eux à l’occasion des mauvais traitements infligés aux animaux.
Les animaux ont-ils bénéficié de traitements propres à préserver leur souffrance ? On ne sait.
Abattoir de Bordeaux vers 1900. Sur l'emplacement de l'actuelle place André-Meunier |
Pour en savoir plus :
Baratay (Eric), Le point de vue animal, Paris, Le Seuil, 2012
(11/2014)