Par Monique Lambert Un éminent chirurgien bordelais, Raymond Lafourcade Père, a rédigé le compte rendu de sa dernière opération réalisée dans des conditions très particulières. |
On peut trouver ce document aux archives municipales de Bordeaux ;« Observation de M. Lafourcade père pour une plaie de l’abdomen ». Registre de la Société académique de Chirurgie de Bordeaux. Il a fait l’objet d’une publication consultable sur Gallica :« Recherches sur les procédés chirurgicaux de l’Ecole bordelaise des origines à la Révolution », Bordeaux, Imprimerie Gounouilhou, 1903, p.32-33 |
Si l’aspect technique de l’opération présente un intérêt pour le rapporteur de l’affaire, il serait regrettable de négliger les circonstances qui ont amené Raymond Lafourcade à innover dans sa pratique opératoire.
Voici décrits ci-dessous les faits, tels qu’ils ont été rédigés par le chirurgien.
On peut s’étonner de la rapidité de l’intervention de l’homme de l’art. Il y a une explication : il avait un bien à Mérignac.
« Le 21 juin 1764 le nommé Bernard Dejean dit « Louminon » âgé de 62 ans vigneron, habitant du village de Capeyron, paroisse de Mérignac, revenait de chercher du foin du marais vers 6 heures du soir lorsqu’il fut attaqué par un taureau sur le grand chemin près du Vigean.
Le coup de corne dont il fut percé lui ouvrit le bas ventre du côté gauche et lui fit une plaie à lambeau avec déchirement et d’une figure très irrégulière longue d’environ 4 pouces, située transversalement à travers à 2 travers de doigt du côté du nombril, s’étendant jusque vers le milieu de la région lombaire du même côté. Les intestins sortis formaient un volume considérable de même que l’épiploon en partie déchiré.
Ce malheureux qui avait resté seul sur le chemin jusqu’à 11 heures du soir se mit en marche en traînant un genou par terre, portant les boyaux enveloppés dans sa chemise qui était neuve et de fort grosse toile, pour se rendre au Vigean éloigné d’un quart de lieue où il arriva vers les 3 heures du matin et d’où il fut transporté chez lui dans une charrette. Cet homme qui n’avait pas vu secours, m’envoya chercher ;
J’arrivais chez lui dans la matinée entre onze heures mais quel ne fut pas mon étonnement lorsqu’après le récit de ce qui s’était passé, je trouvais le malade encore vivant, à la vérité froid et sans pouls, les intestins boursouflés et enflammés ayant une couleur d’un rouge tirant sur le brun, remplis en quantité de sable dans toutes les circonvolutions, s’étendant depuis le menton jusqu’au scrotum recouvrant le col, la poitrine, le côté gauche du bas ventre.
Après l’avoir fait confesser, mon premier soin fut de laver avec beaucoup d’eau de vie les parties sorties du bas ventre afin de la revivifier et d’en ôter les corps étrangers qui y adhéraient, je leur fis ensuite rentrer par la plaie après avoir coupé et emporté une grande partie de l’épiploon déjà gangréné.
J’observais que le pouls revint après que les parties furent rentrées, la plaie contuse déchirée et frangée d’un bout à l’autre ne me permettant point de pratiquer aucune espèce de suture, je crus devoir imaginer un espèce de bandage unissant qui peut en même temps en faciliter la réunion en contenir dans le bas ventre toutes les parties que j’y avais rentrer avec tant de peine; je me servis en conséquence du bandage du corps auquel j’assujettis par plusieurs points et fis des compresses que je posai dans différents sens et en les graduant à proportion, plus dans certains endroits afin d’en remplir les vides et de rendre la compression égale.
J’imbibai très souvent l’appareil de la même liqueur pendant plusieurs jours, j’employai ensuite des digestifs et des topiques appropriés et d’usage. Je fis saigner le malade avant de sortir, la saignée fut réitérée le soir. Je prescrivis le régime le plus sévère et le malade fut radicalement guéri dans l’espace d’environ 42 jours. Il vit encore et vaque à ses occupations même les plus pénibles sans ressentir la moindre incommodité. »
(04/2013)