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Par Dechat et Lecroisier

Afin de marquer son mariage du 22 Avril 1810 avec Marie Louise, Napoléon 1er a pris un décret dans son palais Impérial de Compiègne. Il souhaite marier trois semaines plus tard (le temps des formalités) quelques compagnons de ses victoires.

Six mille militaires en retraite, ayant fait au moins une campagne, seront mariés le 22 avril prochain, avec des filles de leurs communes, auxquelles il sera accordé une dot de douze cent francs pour Paris, de six cents francs dans le reste de l’Empire.

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En consultant la liasse 3R1 aux Archives départementales de la Gironde, nous avons trouvé les doubles des tableaux récapitulatifs comportant les noms des futurs mariés.
En choisissant de communiquer quelques extraits des échanges de correspondances entre les élus, nous avons essayé, au travers d’anecdotes amusantes, piquantes ou quelquefois amères, de rendre plus vivant le déroulement de cet événement.

Dès le 3 avril 1810, le préfet ordonne de réunir les commissions. Il reste peu de temps jusqu’à la date prescrite pour le mariage. Il faudra prévoir des dispenses éventuelles de publications des bans et notamment intervenir auprès de l’archevêque  qui donnera son accord et en informera ses curés. Quelques mariages seront d’ailleurs reportés.
Dans certaines communes, plusieurs militaires seront en lice mais certaines communes  ne pourront en trouver aucun.
Les élus devront non seulement trouver les finances pour la fête publique mais aussi prévoir un programme digne de ce nom.
On peut soupçonner quelques mariages arrangés à la va-vite ... mais pas toujours.

Résumé de  ce document :

DÉCRET IMPÉRIAL

contenant les Actes de bienfaisance et d’indulgence à l’occasion du Mariage de Sa Majesté Empereur et Roi, Napoléon, Empereur des Français, Roi D’Italie, Protecteur de la Confédération du Rhin, Médiateur de la Confédération Suisse, voulant marquer l’époque de notre mariage par des actes d’indulgence et de bienfaisance NOUS AVONS DÉCRÉTÉ ET DÉCRÉTONS ce qui suit :

TITRE IV
Du mariage de six mille Militaires
5. Six mille militaires en retraite, ayant fait au moins une campagne, seront mariés le 22 avril prochain, avec des filles de leurs communes, auxquelles il sera accordé une dot de douze cent francs pour Paris, de six cents francs dans le reste de l’Empire, à savoir :
Soixante dans la ville de Paris ;

  • Dix dans chacune des villes dont l’état est annexé au présent décret (A) : Dont Bordeaux

Cinq dans chacune des villes dont l’état est annexé au présent décret (tableau B)

  • Deux dans chacune des villes dont l’état est annexé au présent décret (tableau C) : Dont Libourne, Bazas, La Réole et Blaye

Un dans chacune des justices de paix de l’Empire.

  • En Gironde : Audenge, Belin, Blanquefort, Bordeaux, (six justices de paix) Brède (la) Cadillac, Carbon–blanc, Castelnau-de-Médoc, Créon, Pessac, Podensac, Saint- André-de-Cubzac , Teste-de-Buch (la), Auros, Bazas, Captieux, Grignols, Langon, Préchac, Saint-Symphorien, Blaye, Bourg, Saint-Ciers, Lande (la), Saint-Savin, Montségur, Pellegrue, Réole (la), Saint-Macaire, Sauveterre, Targon, Lesparre, Pauillac, Saint-Laurent-de-Médoc, Saint-Vivien, Branne, Castillon, Coutras, Fronsac, Guitres, Libourne, Lussac, Pujols, Sainte-Foy-la-Grande

Tous les lieux ne seront pas pourvus : Captieux, Langon, Préchac et Targon

6. Les militaires et les filles à marier seront choisis de la manière suivante, à savoir :

  • Pour la ville de Paris, par délibération du conseil général faisant fonction de conseil municipal, approuvée par le préfet ;

  • Pour les villes chefs-lieux de département, par délibération du conseil municipal, approuvée par le préfet ;

  • Pour les villes qui ne sont pas chefs-lieux de département, par délibération du conseil municipal, approuvée par le sous-préfet ;

  • Pour les justices de paix, par une commission composée de deux maires et de deux curés désignés par le sous-préfet, et du juge de paix, qui présidera la commission et la réunira dans son domicile.

7. Les communes qui ne seraient pas comprises dans les articles précédents, pourront sur la délibération du conseil municipal, approuvée par le sous-préfet, marier un militaire et une fille de la commune, en se conformant, pour le choix et pour la quotité de la dot, aux dispositions ci-dessus.
...


Ce que l'on trouve dans la liasse cote 3 R 1 : Six mille Mariages

  • Quelques copies de contrat de mariage mentionnant la filiation des époux.

  • Dans les copies des procès-verbaux des commissions :Des tableaux récapitulatifs reprenant partiellement les comptes -rendus des commissions avec les noms de l’époux et de l’épouse, leur âge, leur domicile, le corps d’armée, ...

    • Les noms des futurs époux mais aussi d’autres noms de militaires non choisis.
    • Les noms des curés, des maires, du juge de paix, du sous- préfet, du préfet.
    • Les états de service du militaire.
    • Mentions de certificats de réforme avec quelques rares descriptions physiques sommaires et des attestations de supérieurs.
  • Le déroulé des festivités par commune.

  • Le montant des frais prévisionnels.

Avertissements
Les extraits de quelques documents sont transcrits avec l’orthographe actuelle.
Dans un même document, les patronymes sont parfois orthographiés de plusieurs façons. On a l’exemple du nom d’une future épouse : FAUX, FEAU, FEAUX dans la même page. Pour certains mariages, vérifications ont été faites dans les tables décennales et quand cela a été possible dans les registres de mariage. Et là aussi il y a quelquefois des variantes.
A cette occasion, nous avons eu la surprise de trouver des mariages datés du 20 ou 21 avril.

De l'urgence de réunir des commissions

On trouve à la Réole un extrait des registres des arrêtés du sous-préfet qui dès le 3 avril considère qu’il est
 « ... de toute urgence de réunir les commissions afin que toutes les formalités voulues tant par le dit décret que par le code civil et les lois de l’église puissent être remplies pour le jour du 22 avril » ...
Le Procès- verbal devra parvenir au plus tard le 10 avril et ... le président avertira les futurs époux sous vingt-quatre heures pour les mettre à même de remplir toutes les formalités nécessaires et préalables .... »
Il faudra donc trouver un militaire en possession d’
« ... un congé absolu de retraite ou de réforme délivré par un corps ou une copie certifié par le maire de son domicile et un certificat de bonne vie et mœurs signé par le maire ... »
Pour la fille :
 « ... un certificat de bonne mœurs délivré par le maire de son domicile et par le curé si elle est catholique ... »
Il demande également que le préfet sollicite Monseigneur l’archevêque pour qu’il donne des instructions aux curés concernant les difficultés canoniques sur la bénédiction de ces mariages et qu’elles soient aplanies...
Mais le 9 avril, le sous–préfet de Libourne s’inquiète toujours de ne pas « ... savoir à quoi s’en tenir touchant les publications du mariage religieux ...»


De la difficulté de trouver un militaire

  • Dans le canton de La Teste et Gujan , la commission n’avait toujours pas trouvé de militaire le 8 avril. Enfin elle porte son choix, le 17 avril, sur Pierre BRUN marin habitant La Teste. Mais ce dernier ne put trouver aucune fille susceptible de l’épouser, en 4 jours !

On espère que Jean RANGEARD et Marie ANGLADE qui acceptèrent, ne se marièrent pas que pour la dot. Leur mariage fut célébré le 29.

  • Devant la difficulté de trouver un prétendant, le sous-préfet de Libourne demande s’il ne peut pas interpréter le décret et élargir les choix en acceptant un militaire en congé en bonne et due forme. (C’est-à-dire non réformé à la suite de blessures aux combats)

En amour, la seule victoire c’est la fuite (Napoléon )

  • Extrait des registres de la délibération du Conseil Municipal de la Commune de Bazas.

« Aujourd’hui dix-sept du mois d’avril mil huit cent dix le Conseil Municipal de la Commune de Bazas s’étant réuni dans une des salles de la mairie Mr le Maire a pris la parole et a dit : Messieurs
Lorsque je vous ai convoqué le neuf du mois ... vous avez remarqué que sur quatre d’entre eux, trois, les Sieurs FERRAUD, SARPOULIN et LACOSTE déclarèrent de la manière la plus formelle qu’ils ne voulaient pas se marier ; le Sieur FOUCAUD parut exciter l’attention du conseil...
Cependant comme il ne voulut pas contracter aucun engagement sans connaître la fille avec laquelle on pourrait l’unir ... il engagea le conseil de lui donner le temps convenable et nécessaire sur le parti qu’il avait à prendre. Il sortit en conséquence de l’immeuble et promit de fixer le conseil sur sa détermination et de lui donner une réponse dans le délai d’une heure.
Malgré le délai ... ce militaire n’a point reparu en la commune ni n’a fourni aucune réponse. J’ai fait faire des publications tous les jours….pas un seul ne s’est présenté...
Considérant que malgré tous les avertissements qui ont été donnés et les proclamations ... que le Sieur Foucaud a en fuite, fait présumer son intention de ne contracter mariage...
Le Maire fait part de sa désolation.

Signé GERINE Maire


De la difficulté à trouver une épouse

  • Arrondissement de LIbourne

    « L’an mille huit cent dix et le quatorze avril à neuf heures du matin

    Nous membres de la Commission nommée par arrêté de Monsieur le Sous-Préfet de l’arrondissement de Libourne en date du cinq courant ayant de nouveau été convoqués par invitation de Monsieur le Président de ladite Commission, en étant réunis dans son domicile.

    Est comparu le Sieur Jean BARTHE militaire retraité par nous désigné d’après notre délibération du dix courant lequel nous a dit que quelques raisons puissantes s’opposent à ce qu’il prenne en mariage la nommée Jeanne DOUBLET, ainsi désignée par notre dite délibération ... en conséquence il soumet à l’approbation Marie MAURESE habitant la commune de Naujan fille légitime de Jean MAURESE et de feu Marie DUPUY habitant la commune de Lugaignac... »

    Il obtiendra satisfaction et on ignore les raisons puissantes qui l’ont fait renoncer à Jeanne Doublet !!

  • Arrondissement de Podensac

    « Castres le 21 avril 1810

    Le juge de paix du canton de Labrède à Monsieur le Préfet du département de la Gironde Baron de l’Empire

    La fille de la commune de Léognan nommée Marie Chrétien qui avait été choisie pour être unie en mariage avec Jacques PELUCHON militaire en retraite dans la même commune avait d’abord paru disposée à profiter de la munificence de sa Majesté ; mais peu touchée de la noble cicatrice de PELUCHON elle lui a préféré un autre jeune homme pour lequel elle avait depuis longtemps de l’inclination ; son refus a obligé la commission de faire un nouveau choix, il a porté sur Marie HOURTIC, fille majeure de la même commune qui captive depuis longtemps par sa bonne conduite et sa candeur, l’estime de ses concitoyens ... »
    Dans la marge, une annotation du préfet

    « Je suis disposé à approuver mais il semble que la commission ait cru que c’était à elle de choisir l’épouse et non au militaire. La commission doit se borner à examiner si le choix du militaire est tel que le couple soit digne du bienfait de S/M mais elle ne doit pas contrarier et forcer les inclinations ».

    Le document étant daté du 24 avril, le mariage n’a pu avoir lieu le 22 !

    Et la noble cicatrice était... « blessé d’un coup de feu dont la balle a porté sur le téton gauche ».

  • Targon

    Le juge de paix écrit le 19 avril au préfet pour signaler que les trois militaires en lice « après avoir été plusieurs jours sans pouvoir trouver de fille qui voulut s’associer à leur destinée, deux ont enfin annoncé qu’ils avaient fait un choix » !

    Toutefois il n’y aura pas de mariage à Targon.


Des délibérations qui ne plaisent pas à tout le monde

  • Gradignan le 10 avril 1810
    Dans la marge :

    « accuse de partialité la commission chargée du choix du militaire à marier le 12 »

    « L’adjoint au maire de Gradignan à Monsieur le Préfet de la Gironde

    La commission du canton de Pessac ... se sont réunis ce jourd’hui chez Monsieur le juge de paix ... trois membres de la commission ne sont point pénétrés des dispositions que renferment le décret rendu par Sa Majesté l’Empereur ils ont donné leur suffrage à un militaire de leur commune qui a fait huit campagnes au préjudice d’un qui en réunit douze. Ce sont Messieurs le maire , le curé de Pessac et le curé de Mérignac... »

    Signé Lacoste adjoint

  • Macau : réclamation pour partialité le 18 avril 1810

    Lettre d’Arnaud FRECHAUD à Monsieur le Préfet de la Gironde Baron de l’Empire :

    « Monsieur le Préfet

    Arnaud Frechaud sous -lieutenant entré en service le 1er ventôse an 8, ayant 10 ans de service avec honneur dont 12 campagnes blessé à la bataille de Wagram où il eut le pied emporté, natif de Macau, a l’honneur de vous exposer

    Que désirant profiter de la munificence de Sa Majesté l’Empereur et Roi, relative aux mariages des militaires qui ont servi avec éloges et retirés du service pour cause de leurs blessures, il s’est présenté chez Mr le juge de paix en présence de Mr le maire de Blanquefort celui d’Eysines et MM les curés de ces paroisses ayant toutes les pièces à l’appui pour être admis

    L’exposant croyant qu’il était en ce choix comme toute autre chose, que le plus méritant devait l’emporter, a vu non sans douleur qu’un militaire de la 13ème légère blessé au bras par un coup de feu pouvant travailler comme il travaille effectivement chez M le maire d’Eysines a eu la préférence et la protection a prévalu...

    L’exposant pensait qu’on aurait égard à un militaire qui a perdu un membre ce qui le met hors d’état de travailler...

    Signé Frechaud »

    Il n’obtiendra pas satisfaction.

    Jean Lacouture qui fit la même requête fut également « débouté ».


Une commission enthousiaste

  • Arrondissement de La Réole

    Procès- verbal de la commission du canton de Pellegrue.

    Le 9 avril 1810.

    Le président de la commission était Jean François BONAC juge de paix du canton de Pellegrue.

    Le maire du chef-lieu de canton était Benjamin Fortuné DESTRAC .

    Le maire de la commune de Saint Ferme était Jean Baptiste DUNOGUES.

    Le curé du chef- lieu de canton était Jean VILLEVIEILHE.

    Le curé de Saint Ferme était Joseph BUTAUD.

     « ... Monsieur Du Nogues a bien voulu accepter d’être secrétaire de la commission La séance ayant été ouverte par M Le président, il a dit

     La commission qui nous est déléguée est grande, elle est auguste puisqu’elle a pour motif d’exécuter la volonté libérale du plus grand et du plus auguste des monarques elle se rapporte à un acte bien cher aux français à l’union conjugale du premier des héros avec une princesse de sang impérial et royal de l’illustre famille de la Lorraine dont les rares vertus et la haute valeur vont décorer le premier trône du monde. Elle sera la félicité de celui que nos vœux maintiendraient éternellement s’il n’était mortel

    Occupons- nous donc aussi dignement que possible à exécuter les intentions de Sa Majesté L’Empereur et Roi par nos choix réfléchis de deux individus capables de sentir et d’apprécier l’engagement qu’ils vont contracter envers la patrie et envers celui qui s’en déclare si noblement le père par des actes d’indulgence et par une munificence qui ne saurait faire de jaloux , puisqu’elle embrasse toue la grande famille.

    A quoi M.M de la commission ont ajouté et le Président avec eux.

    Vive L’Empereur

    Vive L’Impératrice