et... des gens ordinaires. Un témoignage, celui d’une voyageuse allemande en 1785.Par Girondine. L’auteur, Sophie von La Roche, une romancière allemande très cultivée. |
Son journal relate sa visite au château mais aussi sa rencontre avec les habitants de cette paroisse. Le récit se situe le 3 mai 1785La foire, près du grenier à blé « …nous allâmes à pied à l’auberge et près du théâtre dressé à l’occasion des moissons, nous traversâmes la foire, pleine de marchands et d’acheteurs. Nous pûmes ainsi connaître les besoins des paysans de la région. Il y avait tontes sortes de mouchoirs de couleur provenant des fabriques du Béarn, patrie d’Henri IV. Les femmes s’en servent pour recouvrir leur coiffe sur laquelle elles les fixent à l’aide d’épingles qu’elles achetaient pour quelques sous. Elles achetaient aussi des aiguilles car elles sont aussi laborieuses que les femmes de Catalogne. Toutes celles qui s’en vont portant sur la tête un fardeau tricotent de même que filent toutes celles qu’on voit assises sur leur âne au milieu des corbeilles de légumes ou celles occupées à garder dans les champs les chèvres, les oies et les vaches... On trouvait aussi de grands étalages de toile rouge. Les paysans de la région aiment cette couleur et, comme je l’ai dit, elle s’accorde parfaitement avec la bordure noire des manches et des jupes, ainsi qu’avec les mailles noires que forment les lacets des corsets.Ailleurs un ménage de marchands ne vendait que des escarpins de drap, de toutes grandeurs et de couleurs variées. Beaucoup de jeunes paysannes portaient des jupes noires avec des cordages rouges. A mon avis, cette mode est certainement dans un voisinage de l’Espagne. On vendait également beaucoup de bas de laine de toutes sortes. |
Des corbeilles pleines de craquelins, de pains d’épices et de massepains circulaient dans la foule, et, aux alentours du théâtre, les arbres étaient tout enrubannés. Des jeunes gens parlaient gaiement entre eux mais avaient for bonne tenue ; la plupart étaient très bien bâtis. »
Une sécheresse persistante
« Les vieux se lamentaient sur la persistance de la sécheresse disant qu’ils n’auraient bientôt plus ni foin, ni paille, ni son, pour nourrir leurs vaches, leurs chevaux et leurs moutons. Je questionnai à ce sujet une jeune femme de mine particulièrement agréable et intelligente. Elle me répondit avec un grand bon sens, sur un ton à la fois soucieux et résigné ; pourtant, elle s’était déjà vue obligée d’abattre cinq têtes de jeune bétail, ce qu’avaient dû faire des centaines d’autres cultivateurs, afin de ne pas s’exposer à mourir de faim. Je compatissais alors du fond du cœur de cette calamité générale, et la brave femme me remercia de ma commisération avec autant de gratitude que si elle avait reçu de moi un présent. »
Le gascon et le français
Tous les gens parlent un double langage, moitié français, moitié gascon. Celui-ci est extrêmement agréable à l’oreille. Tous aussi ont dans leurs façons et dans leur manière d’être quelque chose qui plait.
A l’auberge, nous déjeunâmes dans une salle à côté de laquelle s’en trouvait une autre avec trois tables pleines de paysans en train de manger du poisson frit, de la salade et des gâteaux. Leur conversation quoique très animée, restait amicale.. Le vin les rendait joyeux, mais nullement bruyants ni mal élevés; ils se disaient toujours monsieur très poliment… »
Madame von de la Roche a visité longuement le château de La Brède.
La nourriture des domestiques
« J’interrogeais la gardienne sur ses occupations et j’appris qu’elle était chargée de l’entretien du château de la basse-cour, de la nourriture des valets et des servantes. On ne donne jamais de légumes verts au personnel du château ; il y a deux fois par jour de la soupe et de la viande, et des lentilles ou des haricots avec du poisson les jours de jeûne. »
La culture de la vigne
« Cette femme et son mari m’expliquèrent aussi pourquoi les règes de vignes sont si larges. Ils m’apprirent et, après avoir fait quelques pas, je pus constater moi-même qu’on laboure ces règes avec des bœufs. Ce système permet de rejeter la terre à droite et à gauche, le long des pieds de vignes, ce qui est beaucoup moins coûteux et moins pénible que d’employer la bêche. Je m’arrêtai et vis avec quelle aisance et quelle habileté le bouvier menait la charrue, et la rapidité avec laquelle les mottes de terre venaient recouvrir la base des pieds de vignes…. »
La jeune fille et la danse
« A l’auberge, je trouvai plusieurs petites paysannes fort gentilles qui causaient gaiement entre elles.Dans le même instant, l’une d’elles enleva ses sabots et, de ses pieds chaussés d’escarpins rouges, elle se mit à faire des mouvements si gracieux et si légers que je restai convaincue que les danses de ces paysannes au milieu d’une prairie doivent avoir beaucoup plus d’attrait que celles qu’on peut voir à l’Opéra. »
- Enfants, leur dis-je, pourquoi restez-vous donc ainsi sans rien faire ? n’avez-vous pas envie de danser ?
- Oh ! non, madame, cela nous est défendu aujourd’hui.
- Je le regrette car je serai restée ici ce soir rien que pour vous voir danser; Vous ne gardez pas vos sabots n’est-ce-pas ?
- Oh non, répondirent-elles vite, on les sort et on danse en escarpins
Le logement des journaliers
« Je vous dirai aussi un mot de l’habitation des journaliers, car j’en ai visité une et je l’ai bien examinée.
Imaginez une construction longue de trente et haute de douze pieds (1), avec, au milieu, une cloison de chaque côté de laquelle se trouve une porte donnant accès sur la rue ; et, du côté opposé de cette porte, une fenêtre haute de deux pieds et large d’un pied.. A chaque bout de la maison se trouve une cheminée et un plafond sépare la pièce d’un grenier peu élevé : c’est là toute la maison. Cette pièce est carrelée, sauf dans un coin , où se trouve un lit à deux, ordinairement garni de rideaux et bien installé, une armoire pour les vêtements, quelques ustensiles et un cadre pour la batterie de cuisine. Un deuxième coin est réservé au bois et aux outils, un troisième à la table, et du quatrième part un mauvais escalier ou même seulement une échelle conduisant par une trappe jusqu’au galetas. Deux familles vivent ainsi côte à côte, dans ces misérables pièces qui, malgré tout sont généralement très bien tenues. Les enfants d’un certain âge logent dans le galetas et les tous petits dans la pièce du bas. du bas. Dans toutes ces baraques, je trouvai des visages d’hommes souriants et pleins d’affabilité qui me remercièrent de ma visite, et je repris, très heureuse, le chemin de Bordeaux .»
- Un pied : environ 33 centimètres.
Sources Meauldre de Lapouyade (Maurice), « Impressions d’une allemande à Bordeaux », Revue Historique de Bordeaux et du département de la Gironde, 1911. |
On peut ajouter que c’était une féministe avant l’heure, sensible à tout ce qui touchait la condition des femmes.
Il est possible d’enrichir sa documentation sur les mœurs des habitants de La Brède en consultant l’ouvrage suivant :
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(09/2013)