Par Girondine. Ce n’est pas une histoire d’amour – Même pas un fait divers – Un accrochage, une dispute pour un motif qui nous insinue dans le Macau de ces temps-là - 1900. Cet article aurait pu s’intituler : Luzerne ou liseron ? C’est un jugement de la Justice de paix du canton de Blanquefort (ADG33 4U 11/34) qui développe très longuement cette affaire qui, n’en doutons pas, a animé les veillées macaudaises. |
L’incident s’était produit le 13 septembre 1900, vers les neuf heures du matin.
Voici le résumé des faits, tels qu’ils ont été présentés à une première audience le 3 novembre.
Le lieu de l’incident : une luzernière près du cimetière de Macau. Cette luzernière avait 10 mètres de large. La longueur n’a pas été précisée.
Madame Chelle, une veuve de 50 ans, sage-femme, aurait traversé cette luzernière pour se rendre à une pièce de terre « pour enlever du chiendent ». C’est alors qu’ André Beaucher, jardinier de cette terre, se serait précipité sur elle, en la traitant de « voleuse de luzerne ». « Il la prit brutalement par le bras pour la faire sortir de son terrain et le lui serra si fortement qu’il en est résulté des ecchymoses qui ont été constatées par le docteur Chevalier, ce qui a occasionné une incapacité de travail pendant douze jours ». C’est la version de madame Chelle.
André Beaucher soutient qu’il aurait voulu la conduire chez le garde et que madame Chelle aurait menacé de le frapper.
De plus, il conteste son acte, exercé « sans brutalité » dit-il, et l’incapacité de travail.
Le 14 novembre, avait lieu la contre-enquête avec dépositions des témoins.
Les témoins de Madame Chelle :
- Catherine Alary veuve Grave, 52 ans, cultivatrice, habitant Macau :
« Le 13 septembre vers 8 heures et demie ou 9 heures du matin j'étais en train de travailler avec ma fille Marguerite, âgée de 23 ans et mon fils Jean âgé de 10 ans, à la journée, pour le compte d'un nommé Soult derrière le cimetière de Macau lorsque j'entendis crier. M'étant retournée, je vis M. Beaucher André qui tenait madame Chelle par le bras la traitant de voleuse en disant "arrêtez". Madame Chelle était dans une luzernière appartenant à Mme veuve Renouil. J'ignore si M. Beaucher est fermier de cette pièce.
M. Beaucher traina brutalement madame Chelle jusqu'auprès de nous en nous prenant à témoin qu'elle lui volait sa luzerne mais je n'ai rien constaté de pareil, au contraire madame Chelle n'avait dans son tablier que des lizerons des champs et point de luzerne.
Lui ayant dit que je ne voulais pas lui servir de témoin il partit soit disant pour aller chercher le garde-champêtre. Madame Chelle l'attendit patiemment près d'une heure. Pendant ce temps elle m'a montré son bras où les doigts de M. Beaucher s'étaient imprimés en noir. Elle paraissait souffrir beaucoup. Elle me le fit voir de nouveau deux jours plus après et je vis qu'il était gonflé et encore plus noir que le premier jour.
En attendant M. Beaucher qui d'ailleurs ne revint pas, madame Chelle ramassa du chiendent dans la terre où nous étions en train de travailler puis s'en alla. »
- Marie Baziadoly, épouse Dejean, 48 ans, propriétaire
« Dans le commencement de septembre dernier, vers 8 heures et demie 9 heures du matin, je vendangeais avec mon mari dans une vigne nous appartenant située près le cimetière de Macau. Nous venions de cesser le travail pour déjeuner lorsque nous aperçûmes à 50 mètres environ madame Chelle qui traversait une luzernière appartenant à madame Renouil affermée à M.Beaucher.
Au même moment nous entendîmes M. Beaucher lui criant "Arrêtez, vous êtes prise". Il survint aussitôt la traitant de voleuse de luzerne et l'empoigna par le bras en essayant de l'entraîner. Madame Chelle lui criait "Lâchez-moi, vous me faites mal" mais il ne la lâcha point et la traîna jusqu'auprès de madame Grave qui travaillait non loin de là. A ce moment, il se décida à lui laisser les bras libres et madame Chelle éparpilla le contenu de son tablier dans lequel j'atteste qu'il n'y avait que des liserons des champs et pas du tout de luzerne.
M. Beaucher étant parti chercher le garde-champêtre, madame Chelle me montra son bras qui était tout bleu et meurtri par les doigts de M. Beaucher; elle attendit fort longtemps le retour de celui-ci mais il ne revint pas. »
Le témoin de Monsieur Beaucher :
- Julien Estève, 39 ans, cultivateur.
« Vers le milieu de septembre dernier, en tout cas trois ou quatre jours après ce qui s'est passé entre monsieur Beaucher et madame Chelle, j'ai vu cette dernière ramasser de l'herbe une fois et une autre fois porter un sac de ripes sans paraître souffrir de son bras. »
Monsieur Beaucher ne réclame rien pour le fait que madame Chelle ait traversé sa luzerne, mais conteste l’incapacité des 12 jours.
Madame Chelle reconnaît avoir repris son travail le 18 septembre. Elle a été obligée de se faire aider et a subi des « pertes sérieuses » soutient-elle.
Monsieur Beaucher ne réclame rien pour le fait que madame Chelle ait traversé sa luzerne, mais conteste l’incapacité des 12 jours.
Madame Chelle reconnaît avoir repris son travail le 18 septembre. Elle a été obligée de se faire aider et a subi des « pertes sérieuses » soutient-elle.
Le 17 novembre, le tribunal rendait son jugement définitif.
Madame Chelle demandait 20 francs de dommages intérêts pour 12 jours d’incapacité de travail.
Or, elle a opéré un accouchement le 18 septembre. Le juge en a conclu que l’incapacité de travail avait cessé.
L’indemnité journalière a donc été calculée sur 5 jours et pour un montant de 10 francs par jour seulement. Il avait été demandé 16 francs soixante dix centimes. Demande rejetée car ne correspondant pas au salaire moyen journalier d’une sage-femme.
Quant à monsieur Beaucher, il est condamné à payer à madame Chelle 50 francs ainsi que les dépens, coût de l’acte et mise à exécution.
Trois P.V. de l'affaire.
3 novembre 1900 - ADG33 4U 11/34 Le Tribunal de Paix du canton de Blanquefort - arrondissement de Bordeaux, département de la Gironde, présidé par M. Louis Patronnier de Gandillac Juge de paix assisté de m. Gustave Alais, greffier de cette Justice de Paix dans son audience civile publique du 3 novembre 1900 a rendu le jugement suivant : Entre madame Marie Renon veuve de Jean Chelle, sage femme demeurant au bourg de la commune de Macau, demanderesse comparante en personne, d'une part; |
14 novembre 1900 – ADG 4U 11/34 Procès verbal d'enquête Veuve Chelle / André Beaucher en date du 3 novembre 1900 L'an 1900 et le 14 novembre |
17 novembre 1900 – ADG 4U 11/34 Le Tribunal de Paix du canton de Blanquefort, arrondissement de Bordeaux, département de la Gironde présidé par M. Louis Patronnier de Gandillac, Juge de Paix, assisté de m. Gustave Blais, greffier de cette Justice de paix dans son audience civile publique du 17 novembre 1900 a rendu les jugements suivants: Entre Me Marie Renom, veuve de M. Jean Chelle, sage femme, demeurant au bourg de la commune de Macau, demanderesse, comparante en personne, d'une part; Faits : suivant exploit de M. Pierre Contolle, huissier de cette Justice de paix, demeurant rue St James, numéro 47, en date du 31 octobre 1900 enregistré, la demanderesse a fait citer le défendeur à comparaître le 3 novembre 1900 à midi et demie à l'audience du Tribunal de paix du canton de Blanquefort, séant dite ville de Blanquefort à la mairie pour porter l'exploit...
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Notes complémentaires
Madame Chelle née Marie Reynon serait née à Campugnan vers 1848. Veuve à l’âge de 32 ans d’un scieur de long, elle vivait en 1900 à Macau avec sa fille de 18 ans et sa belle-mère. Elle prenait des pensionnaires.
Une indemnité de 10 francs par jour apparaît raisonnable. En région parisienne, un ouvrier gagnait 3 francs par jour.
En 1900, il y a eu 29 accouchements à Macau.
Monsieur Beaucher né en 1853, venait du Loir et Cher. Sa femme était originaire de Coutras. Un fils, 18 ans, jardinier avec son père.
Source : recensements de Macau 1891 - 1906
(03/2014)