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Par Monique LAMBERT
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Dans la série V (Cultes) ont peut trouver sous la cote 6 V 3 un document un peu particulier : un rapport de police daté du 20 mai 1901. Maurice Maréchal, très jeune étudiant en droit n’a pas pu payer son repas au restaurant. Il explique pourquoi. Le commissaire de police relate les faits et retranscrit les explications données par ce jeune homme.

Ville de Bordeaux
Commissariat de police
Service de permanence        Bordeaux le 26 mai 1901

                                                           Rapport

             Monsieur le Commissaire Central

            J'ai l’honneur de faire connaître à Monsieur le Commissaire Central, qu'à 9 heures 1/2 du soir, le gardien de la Paix Chambon, sur la réquisition de M. Gazel Elie, restaurateur rue Porte Dijeaux, a amené à la Permanence Maurice Maréchal, étudiant en droit, de passage à Bordeaux qui ne pouvait payer la somme de 3 f 40, montant d'un repas qu'il venait de se faire servir.

            Monsieur Maréchal qui se dit le neveu de M. Maréchal, ancien Sous-Directeur de la Cie du Midi et l'ami intime de M. Fernand Monis, fils cadet de Mr le Ministre de la Justice, m'a fait en particulier la déclaration dont ci-après le sens :          

            "Je suis ancien élève des Oblats et j'ai fait mes études chez les religieux à St Ouen, près Paris. C'est au lycée Louis Le Grand où j'ai fait ma philosophie que j'ai connu M. Monis fils, avec lequel j'entretiens des relations d'amitié. Ma mère habite Paris, rue Placide, 47, et je suis arrivé à Bordeaux hier au soir à 9 heures pour me rendre chez mon oncle, M. Maréchal qui habite en son château de la Réole par La Sauve.

            Comme je dois faire mes études de droit à Bordeaux, je me suis rendu aujourd'hui dans l'après-midi chez les Oblats à Talence et leur ai demandé s'ils pourraient me donner une chambre de laquelle je pourrais sortir pour suivre les cours. Mon oncle, en effet, ne veut consentir à me laisser à Bordeaux que si je reste sous la surveillance de religieux. Dans le cas contraire, je devrais rentrer tous les soirs chez mon oncle.

            Au couvent des Oblats à Talence, j'ai rencontré trois religieux dont l'un, ainsi que je l'ai entendu appeler, se nomme frère Scipion. Un de ces religieux m'a dit de venir avec lui au parloir, d'aller dans sa chambre ensuite, pour m'y reposer. J'ai accepté. Le religieux, dans la chambre dont il a fermé la porte à clé, a déboutonné sa soutane et sorti son membre viril. Il était assis en face de moi, un de ses genoux entre mes jambes. En me parlant de mes études, ce religieux a déboutonné mon pantalon, a sorti mon membre viril qu'il a caressé. Cette scène a duré 10 minutes environ. Je n'ai pas crié d'abord car j'ai été stupéfait, ensuite parce que j'ai craint un scandale. En me raccompagnant le religieux m'a recommandé de ne pas garder une mauvaise impression de ce qui s'était passé entre nous.

            Je suis revenu à Bordeaux et me suis rendu au restaurant de la Poste où je me suis fait servir à dîner ; mais lorsque j'ai voulu payer, j'ai constaté que mon porte-monnaie dans lequel se trouvait la somme de 21 francs avait disparu. Mes soupçons ne peuvent se porter que sur le religieux dont je viens de vous entretenir et je dépose une plainte en vol contre lui."

            J'ai reçu par procès-verbal régulier la plainte de M. Maréchal relativement au vol de son porte-monnaie.

            En ce qui a trait au délit de filouterie d'aliments reproché à M. Maréchal, Maurice, le plaignant, M. Gazel, a retiré sa plainte sous la promesse que M. Maréchal le désintéresserait. M. Maréchal a d'ailleurs fourni les preuves de son identité et présenté des pièces et des certificats établissant qu'il a fait sa philosophie au lycée Louis le Grand et qu'il est étudiant ne droit.

            J'ai cru devoir établir à l'occasion de la déclaration de M. Maréchal touchant ce qui s'était passé dans le couvent des Oblats à Talence, un rapport spécial.

On retiendra sans doute dans ce texte la conduite un peu particulière d’un religieux, et pour le jeune homme la peur du scandale. Seule une plainte pour vol sera déposée. Il est prudent, le commissaire. Pour ce qui est des faits qui pourraient être reprochés au religieux, il se contente de rédiger, sobrement, un rapport. Comme on peut s’y attendre, la presse locale reste muette sur cette affaire, étouffée comme bien d’autres et pendant très longtemps.

A cette époqueles relations entre l’Eglise et l’Etat ne sont pas idylliques. On négocie. Depuis le 22 juin 1899, le nouveau gouvernement constitué par Waldeck-Rousseau, par petites touches, rogne sur les prérogatives du clergé.

Dans le Journal « La petite Gironde » on peut lire à ladate du 1 juin 1901 un article qui précise que certains curés dont celui de Talence, ne recevront plus le traitement qui leur été alloué jusqu’ici, comme desservants.


Quelques mots à propos des oblats.

Ce sont des hommes ou des femmes qui ont décidé de se consacrer au service de Dieu. Difficile de s’y retrouver parmi toutes ces familles d’oblats aux activités très diversifiées (enseignements, mission, service des paroisses, etc.). Le jeune Maréchal les a connus à Saint Ouen où la congrégation gérait un établissement éducatif. Tout naturellement à Bordeaux il se dirige vers eux. A Talence, une communauté, réduite, composée de deux ou trois pères et peut-être de quelques frères ont en charge la paroisse, par ailleurs un centre important de pèlerinage en mai.

En savoir plus sur la paroisse de Talence et les oblats ?

https://www.omiworld.org/fr/lemma/notre-dame-de-talence-fr/

Quelques semaines après la mésaventure du jeune Maréchal. la loi du1 juillet 1901.

Elle garantissait la liberté d’association. Une restriction : les congrégations devaient solliciter une autorisation pour fonctionner, déclarer leurs biens et leur comptabilité. Quelques-unes ont disparu à cette époque. Puis la loi du 9 décembre 1905 précisait les relations des Eglises et de l’Etat. Elle était l’aboutissement d’un long processus de laïcisation et de sécularisation, engagé depuis la Révolution française. Ce sujet n’est-il pas toujours un sujet d’actualité ?

Allons plus avant au sujet de la loi de 1901… Quiétait le ministre de la Justice lorsque fut votée la loi de 1901 ? C’est Ernest Monis dont il est fait mention dans le rapport du commissaire, le père du camarade du jeune Maréchal. C’est lui qui a présenté la loi. On trouvera sans peine sur internet le déroulé de la carrière de cet homme politique, ancien député puis sénateur de la Gironde, homme de gauche, dirait-on aujourd’hui. On lui doit l’ouverture du métier d’avocat aux femmes.

Son fils unique, Pierre Antoine dit Fernand, camarade et ami du jeune Maréchal, a fait des études de droit et une belle carrière. On peut lire sur internet sa biographie ainsi que sa fiche matricule. Comme son père il sera l’objet de caricatures.


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Revenons au jeune Maréchal. Qu’est-il devenu ?
Première approche : il n’a pas été trouvé sur le site du Grand Mémorial. Autre source : partant du principe que c’était un très jeune étudiant, sans doute brillant qui avait de bonnes relations, il était logique de se diriger vers la base Leonore qui répertorie les bénéficiaires de la Légion d’honneur. Sous le prénom de Jacques Maurice, on peut le dénicher, dument décoré. Les fiches le font naître à Paris en 1884, marier à Neuilly en 1914, et décéder à Neuilly en 1961. Sa fiche matricule a été trouvée aux archives de la ville de Paris. Des études de droit sans doute brillantes lui ont permis d’être avocat dès 1904 à Paris où il réside dans le 10ème arrondissement. Exempté du service militaire on ne sait pour quel motif, il participera à la guerre de 14 dans les services auxiliaires et semble avoir exercé pendant cette période une fonction au titre de la Justice de Paix.

Lui est-il arrivé d’évoquer sa mésaventure bordelaise ?


 (18/03/2021)