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Par Monique Lambert

En avril 1839, un vaisseau espagnol affrété depuis La Havane débarquait sur le port de Bordeaux 65 personnes, des passagers pas tout à fait comme les autres. Des expulsés. Ils faisaient « partie des 79 personnes qui ont quitté le Mexique après la prise de Saint Jean d’Ulloa » écrivait-on dans le Mémorial.

 

Des hommes, des femmes, des enfants « à la mamelle », des militaires aussi, certains
Grièvement blessés, c’est ce que les bordelais ont pu constater lors du débarquement des passagers. On savait qu’ils ne faisaient que passer, Bordeaux ce n’était qu’une étape. Les autorités bordelaises se devaient de les aider à revenir dans leur lieu d’origine ou de leur trouver une destination pour qu’ils puissent prendre un nouveau départ. Ce qui supposait l’obtention d’un passeport (pour circuler en France) et pour certains, les plus démunis, l’attribution de secours de route.

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Mémorial avril 1839

Que s’était-il donc passé au Mexique ?
Certes le Mexique avait acquis son indépendance en 1821, mais il n’était pas parvenu à maintenir un gouvernement stable. De fait désordres, violences et exactions se multipliaient. Les victimes : les mexicains mais aussi les nombreux résidents étrangers. Parmi ces derniers 6000 français. Molestés lésés, parfois ruinés ils avaient fait appel à plusieurs reprises au gouvernement français pour qu’il intervienne auprès des autorités mexicaines. Ces dernières étaient bien incapables de faire quoi que ce soit pour rétablir un semblant d’ordre.

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Jusqu’au jour où un pâtissier français, victime du saccage de sa boutique a insisté pour réclamer au gouvernement mexicain une forte indemnisation. Ce qui lui fut refusé. Il a alors interpellé le gouvernement français. Certains auteurs avancent que ce sont des motivations d’ordre économique (conquêtes de marché) qui ont amené le roi Louis Philippe à intervenir. Toujours est-il que des forces françaises sont entrées en action. Le théâtre des opérations : la région de Vera Cruz et son fort de Saint Jean d’Ulloa. Le conflit, connu sous le nom de « guerre des pâtisseries », a duré presque une année.
Après la prise du fort de Saint Jean d’Ulloa qui défendant Vera Cruz et un raid sur cette dernière ville qui a du capituler, la paix a été signée le 9 mars1839. Le Mexique acceptait de payer les indemnités réclamées.
Mais avant cette conclusion, bénéfique somme toute pour la France, un ordre d’expulsion en décembre 1838 avait contraint les français à quitter rapidement le Mexique. Certains d’entre eux avaient pu se sortir de ce pays sans trop de difficultés. D’autres moins chanceux, en situation délicate. avaient été recueillis et pris en charge.
On ne sait si ce fut au Mexique ou à La Havane qu’un bateau espagnol, le Bilbao avait été affrété. Très démunis, les malheureux expulsés avaient reçu des vêtements et de la nourriture pour quarante jours.

 

Pour en savoir plus sur l’expédition française au Mexique en 1839
http://www.herodote.net/4_septembre_1838-evenement-18380904.php
http://forummarine.forumactif.com/t6144-la-guerre-des-patisseries-1838
http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_San_Juan_de_Ul%C3%BAa
https://archive.org/details/lamiralbaudinwit00juri

 

Plan de Vera Cruz et des cartes
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63577019/f1.image.r=mexique%20vera%20cruz%201839.langFR

Les bordelais ne pouvaient rester insensibles.
Aussi, comme il est d’usage dans de pareils cas, loteries et concerts de bienfaisance ont permis à la bonne société de faire preuve de compassion. Le bénéfice de ces opérations devait être redistribué aux plus démunis.

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Les expulsés : qui étaient-ils ?
Nous les trouvons quelques informations sur ces personnes dans un dossier aux archives départementales de la Gironde - quelques feuillets.
On peut y découvrir des échanges de courrier entre les différentes autorités. Il est question de passeports et de secours pour ceux qui sont en grande difficulté.

La réunion de divers états établis pour justifier de leurs droits pour l’obtention de passeport ou de secours permet d’avoir quelques informations : Source : ADG33 4M 909

 

  • Des hommes surtout, le plus souvent célibataires. Six pères de famille
  • Trois femmes avec enfant
  • Deux frères de 13 et 15 ans
  • Une petite fille de 6 ans revenue à Bordeaux rejoindre une tante. Elle a perdu sa mère et un jeune frère ; le père serait resté avec un oncle au Mexique
  • Des militaires : il s’agit de noms qui figurent sur certains états et dont aucune mention n’est portée sur leur activité.

 

Professions ; très diverses. A noter que hormis les deux agriculteurs (chargés de famille), ce sont des professionnels de métiers exercés en ville.

Destination : Paris pour la plupart ou d’autres lieux en France.
Jean Cablanquet et Benoit Suzan sont repartis Outre-Atlantique (passeports délivrés à Bordeaux).

Ont été conservées quelques demandes un peu particulières : celle d’une personne chargée de famille qui a recueilli une nièce de 6 ans dont la mère et le jeune frère sont décédés à Vera-Cruz. On peut lire également l’histoire d’un malheureux jeune homme parti à 17 ans.
Ses compagnons d’infortune sur le bateau le mettait à part : il ne pouvait être considéré comme expulsé et ne devait pas recevoir de secours.
On peut cependant s’intéresser à son sort. Voici le courrier qu’il a adressé au préfet pour plaider sa cause :

 

« La souscription ouverte en faveur des malheureux français expulsés de la Vera Cruz me fait espérer d'avoir droit à la bienfaisance et à la générosité des habitans de cette ville, me trouvant au nombre de ces infortunés et comme eux dépourvus de tous moyens d'existence, ayant été contraint de vendre pour pouvoir vivre tous les objets que je possédais.
Je partis de Bordeaux dans le commencement de l'année dernière, ignorant alors les troubles qui existaient ainsi que le Blocus de la Vera Cruz pour aller joindre mon Père qui m'appelait auprès de lui. Je ne puis parvenir jusqu'à lui, et je fus contraint de me réfugier à La Havane où les tourmens et les souffrances les plus inouïs m'accablèrent; car en outre de la maladie (vomito) qui m'attaqua, je me suis trouvé en but aux horreurs de la plus profonde misère dans ce pays étranger... sans expérience et sans connaître un seul cœur assez humain pour avoir compassion de ma déplorable situation. Dans cet état de choses et désirant sortir de l'embarras dans lequel je me trouvais, je me rendis à New York, en gagnant ma traversée à la sueur de mon front; mais je ne fus pas plus heureux et je fus obligé de revenir à la Vera Cruz où de nouveau je ne pus entrer ce qui me contraignit à retourner en France.
A mon arrivée dans ma patrie, dénué de tout, mais qu'elle fut ma douleur en arrivant dans ma ville natale, lorsque je revis le beau ciel de Bordeaux, d'y trouver ma pauvre mère qui avait tout sacrifié pour moi tout ce quelle possédait dans l'espoir que je pourrais un jour lui témoigner la reconnaissance à toutes ses bontés, car elle aussi espérait qu'un meilleur sort m'attendrait dans un pays où je n'ai trouvé que disgrâces privé ou dépourvu de tout secours. Oh monsieur le Préfet, combien sa position me fit de peine et combien mon cœur est ulcéré de ne pouvoir la soulager comme je le désire...
»

 

Tableau des français expulsés du Mexique

Nom

Prénom

Age

Remarques

Métier

Destination 

Aupart

Jean

18

 

commis 

Bordeaux (33)

Azelvendre

Nicolas

35

Avec ep Anaïs, fille Marie "à la mamelle"

verrier

Marseille (13)

Barrière

Paul

25

 

agronome

Paris (75)

Baveret

Gaspard

32

 

professeur

Paris (75)

Bellorce

 

 

 

 

 

Benoist

Charles

38

 

tapissier

Paris (75)

Bies

Alexandre

 

 

chapelier

Paris (75)

Blanchet

Victorien

26

 

meunier

Paris (75)

Cablanquet

Jean

33

Indisposé

colporteur

Laffitte-Troupière (31)

Carsuzan

Laurent

28

 

commis 

St Palais (64)

Charpin

 

 

 

 

 

Chatillon

Jacques

48

 

tanneur

Autun (71)

Courtine

Martin

27

 

menuisier

Clermont (63)

Curnillon

Anselme

40

 

chapelier

Saint-Amour (39)

Delien

Adolphe

22

 

menuisier

Paris (75)

Descudier

Amélie

6

 

 

Bordeaux (33)

Dubosc

Camille

15

 Avec frère Claude

apprenti

Lyon (69)

Dubosc

Claude

13

Avec frère Camille

apprenti

Lyon (69)

Dubos

 

 

 

 

Bordeaux (33)

Dupont

Pierre

29

 

cuisinier

Paris (75)

Fessard

Adolphe

36

Blessure grave

serrurier

Paris (75)

Fourcodeau

Christophe

36

Avec ep, Marie (26) et  Marie "à la mamelle"

cultivateur

Champlitte (70)

Gibert

Jean

 

 

négociant

Rodez (12)

Gillard

Augustin

39

 

cuisinier

Paris (75)

Gramont

Eléonore

30

Avec fille Pauline (7 )

 

Vitry-le-François (51)

Houbart

François

39

Blessé

menuisier

Paris (75)

Joany

Edouard

17

 

 

 

Langle

Jean

21

Commencement d'aliénation

commis 

Oloron (64)

Laurenchet

Denis

40

Avec ep Françoise (33) et 4 enfants

cultivateur

Champlitte (70)

Lefebvre

Auguste

17

 

coiffeur

Paris (75)

Lion née Morel

Clarisse

38

Veuve avec fils (17) - malade

coiffeuse

Paris (75)

Montigny

Henri

20

 

peintre

Paris (75)

Paris

Louis

47

Avec ep Clémentine (30) Augustine (8) 

Fabr. chandelles

Paris (75)

Patard

Henri

38

Avec ep, Ursule et Louis "à la mamelle"

ébéniste

Le-Havre (76)

Prodhomme

Victor

33

 

march. estampes

Paris (75)

Ragot

Françoise

26

 

domestique

Champlitte (70)

Roux

Antoine

36

Avec ep Marie (26) et enfant "à la mamelle"

charpentier

Le-Puy-en-Velay (43)

Sombret

Auguste

59

 

marchand

Paris (75)

Suzan

Benoit

17

 

tailleur

Pau (64)

Thomas

Joseph

48

 fille Clarisse (14)

charpentier

Paris (75)

Thouret

J. Baptiste

22

 

garde moulin

Dijon (21)

Toussaint

 

 

Madame, et 2 filles - sans ressources

 

Bordeaux (33)

Vasseur

 

 

 

 

 

Viard

 

 

 

 

Saint-Dizier (?)

Vignon

Alfred

24

 

commerçant

Angoulême (16)

Vincourt

Ch.Louis

24

 

commis

Paris (75)

Viornery

Pierre

50

 

 

 

Vuignier

Jules

32

 

 

 


(11/2013)